Le carnaval est proche et le pays entier attend. Autour du divertissement comme essence tournent des activités économiques, mais la perception des retombées économiques positives n’est pas partagée. D’ailleurs, il est toujours bruit de la non rentabilisation du carnaval pour l’Etat qui y injecte une fortune chaque année. Assimilant les dépenses carnavalesques à un investissement, beaucoup s’interrogent sur leur justesse quand la misère met en déroute le bien-être de toute la population. Ils reprochent au gouvernement de se consacrer à la mendicité internationale pour tout ce qu’il souhaite entreprendre, et mettent en question sa responsabilité dans l’incapacité de résoudre les problèmes socio-économiques épineux qui nécessitent une attention urgente. Certains parlementaires, universitaires, et fonctionnaires publics portent leur préférence sur la santé, l’éducation/l’enseignement supérieur et le règlement des salaires des fonctionnaires publics. Leurs objections peuvent être légitimes, sans pour autant être économiquement justes. C’est la même rengaine chaque année et ce ne sera pas différent cette année. Pendant même que les autorités souhaitent rendre le carnaval vert rentable, aucun système rationnel de rentabilisation n’est encore connu des acteurs économiques, ni une planification concrète repensant le ‘making’ du carnaval, n’est en phase d’exécution.
Ce retard m’invite à reprendre l’essentiel
du texte ‘L’économique du carnaval’ (voir
Le Matin 26-28 février 2007), pour évoquer la nécessité de repenser le
carnaval affectant le comportement de tous dans le pays tout en essayant de
comprendre la logique économique qui y découle. Toute réflexion y relative
demande :
I- de définir la nature économique du financement du
carnaval ;
II- d’identifier le bénéficiaire réel de la rentabilité
carnavalesque ;
III- d’investiguer les possibilités d’une rentabilité
carnavalesque équitable.
I : La nature économique du financement du carnaval
L’allocation budgétaire faite par l’Etat pour le carnaval
n’est qu’une subvention, et comme telle, elle ne peut pas être rentabilisée.
Etant faites à un groupe ou pour la réalisation d’un événement social, toutes
subventions sont des fonds perdus non récupérables. Les sommes préalablement allouées
indifféremment du montant sont de cette nature et échappent à toute idée de
rentabilisation qui implique un investissement dont l’objectif est la
maximisation du profit. La question économique correcte à poser est comment
garantir de nouveaux fonds pour les prochains carnavals quand on sait que
l’Etat est un agent économique qui, dépendant entièrement des prélèvements
fiscaux sur les agents économiques actifs de sa communauté, doit les tirer
quelque part ? Comme déclic dynamisant les activités économiques à tous
niveaux de l’échelle, cette allocation est irréprochable et très bien venue
sans espoir de la rentabiliser pour l’Etat. L’acception, qui en est faite,
invalide toute formule de récupération de cette somme voire sa rentabilisation.
L’accent mis sur la rentabilisation du
carnaval assimile l’Etat à un investisseur privé qui nécessairement doit
maximiser. La réalité est que celui-là ne rentabilise jamais ses dépenses
publiques dont la finalité est la provision de certains biens et services
publics auxquels tout le monde a accès sans exclusion ou sans discrimination.
Une telle implication s’explique par l’ampleur des coûts de production et par
le phénomène de passager clandestin (le roulibeur ou dasomann : qui
jouit de la provision d’un bien/service sans participer aux coûts de cette
production) que respectivement, le privé ne souhaite assumer, ni est en
mesure de contrôler. Vu le poids de tels biens/services dans le panier de
bien-être collectif, l’Etat en devient le pourvoyeur naturel sans espérance de
gains quand le privé ne s’y engage pas par défaut de pouvoir maximiser son
profit. L’autre volet de l’apport de l’Etat dans l’économie en terme de
provision de biens et de services est son rôle joué pour redistribuer la
richesse sous forme d’assistance sociale ou de subvention. Ce qui se fait par
les politiques fiscales et budgétaires à travers des projets/programmes
sociaux. Le carnaval ressort de cette catégorie au bénéfice de toute la
collectivité ; donc, il est un vrai bien/service public.
Etant donné que l’un des rôles économiques
de l’Etat est de stimuler l’économie et de redistribuer la richesse, il est
absurde de le traiter au même titre que le privé au point d’espérer une
rentabilisation de ses dépenses qui sont virtuellement des fonds perdus. Toutefois,
dans l’idée d’un coup d’éperon à l’économie où les dépenses publiques créent
des conditions favorables aux investissements privés, il est sensé de penser à
la rentabilité d’une activité collective subventionnée, mais dans une perspective
d’incitation économique aux investissements privés. Ce serait le contexte où
l’économie propulsée entraînerait une hausse de production, du pouvoir d’achat
et de consommation en conséquence. Sa courte durée de vie ne nuit aucunement.
Concrètement, les dépenses pour le carnaval
comme subvention ont la capacité de stimuler l’économie, comme ça a toujours
été le cas.
II : Le bénéficiaire réel de la rentabilité
carnavalesque
La rentabilité carnavalesque est une évidence qu’il faut
dissocier du mérite de l’Etat qui l’écaille en faveur des privés. D’une
manière ou d’une autre, l’économie du pays respire à pleins poumons au cours de
cette période et tout entrepreneur y trouve sa bouffée d’air. Pour être
convaincu, il suffit d’observer la fourmilière de ‘demeleurs’ (mon appellation économique de très petits
entrepreneurs Ayitiens dont l’investissement va de moins de 500 gourdes à 5000
gourdes) sur le parcours carnavalesque. Ils investissent les trottoirs du
parcours, se confondent aux spectateurs et colonisent toute l’aire du champ-de-mars
derrière les stands. En effet,
leur approvisionnement, qui provient de grands fournisseurs dont certains
importent leurs produits au lieu de les produire localement, établit une
dynamique économique stimulant la production et la consommation.
Sans faire allusion aux gains des fournisseurs, il est
certain que ces ‘demeleurs’ arrivent à gagner assez pour répondre aux
besoins de leur famille et assurer les frais d’études de leurs enfants pendant
au moins trois mois. Dès la semaine débutant les activités pré carnavalesques
chaque dimanche, le portefeuille de monsieur ‘Toutlemonde’ en liesse
devient très élastique. Son pouvoir d’achat ayant augmenté subitement par on ne
sait comment, il répond joyeusement à
ses besoins de manger, de boire, de se déguiser, de danser etc. pour simplement
s’enivrer du plaisir de vivre. L’instinct d’entrepreneur éveillé chez les
privés permet aux ‘demeleurs’ et aux autres entrepreneurs de donner une
réponse sur mesure. Tout ce qui est souhaitable pour intégrer le carnaval est
accessible. Monsieur ‘Toutlemonde’ a sans ambages rendu effective sa
demande pour doper la consommation de manière vertigineuse. Si c’était
autrement, les ‘demeleurs’ ne seraient pas si nombreux à décréter
permanence sur les lieux au point d’obstruer le flux du courant humain.
Dans une telle atmosphère, comment insinuer une non
rentabilisation quand l’implication de l’Etat débouche sur la création de
richesse par beaucoup ? Si la fonction économique réelle de l’Etat s’y résume,
questionner la rentabilisation du carnaval par l’Etat est hors contexte.
Peut-être, il faudrait rediriger le questionnement ailleurs pour identifier le
moyen qui permettrait à l’Etat d’en bénéficier aussi. Ce devrait être sa
capacité de capter la quasi totalité des transactions effectuées. Cependant, l’inapropriation
d’un système fiscal aux manières de conduire les affaires économiques du pays
ou l’absence pure d’une structure pouvant repérer les transactions économiques
dans tous leurs détails constitue un handicap majeur. L’opacité d’un nombre
d’entreprises et l’invisibilité des ‘demeleurs’ entravent le flux d’une
potentielle rentrée de l’Etat sous forme de taxes ou d’impôts. L’Etat
pourrait s’embarquer dans la rentabilité carnavalesque si et seulement si un
tel système fiscal existait pour faciliter ses prélèvements. Si peu soient-ils,
ils pourraient alimenter une caisse carnavalesque conçue à dessein 1) d’assurer
annuellement la continuité d’une allocation carnavalesque 2) de réduire les
pressions sur d’autres postes budgétaires comme la santé ou l’éducation pour
financer le carnaval et 3) de garantir l’autofinancement total ou partiel du
carnaval dans le temps, moyennant une participation mieux organisée et
efficiente du secteur des affaires au financement des prochaines festivités.
III : Pour une rentabilité carnavalesque équitable
Il est clair que parler de rentabilisation du carnaval par
l’Etat c’est mal piocher, parce qu’en réalité la communauté des affaires en a
bel et bien profité. C’est ce qui importe pour une économie, même quand l’Etat
n’en jouit pas. D’ailleurs, avec un système fiscal rationnel, il est impossible
qu’il ne jouisse pas d’une activité économique profitable aux privés. Cependant,
il y a lieu de faire de la rentabilité carnavalesque un important sujet
d’investigation pour éviter de la réduire en sa plus simple expression qui est
la finalité financière. Etant donné qu’elle est fonction de l’organisation
économique du plaisir et de l’organisation esthétique de l’espace, faire abstraction
de ces paramètres empêcherait de maximiser la rentabilité carnavalesque. Tel
est le cas réel qui alimente les objections aux débours de l’Etat et qui
échappe à l’observation de tous. Ce train de réflexions invite à des actions
rationnelles conjuguées de l’Etat et du secteur privé, pour que la rentabilité
carnavalesque soit une affaire de tous même à différents niveaux. Toujours
comme régulateur, initiateur et incitateur, en la personne de DGI, il mettrait
en place un système approprié dit système fiscal carnavalesque ou période
fiscale carnavalesque. Ce qui, en prenant en compte l’organisation économique
et esthétique de l’espace, et une meilleure coopération du secteur des affaires,
doit prévoir :
Pour l’organisation économique
1) Une autorité carnavalesque centrale reposée sur deux
entités : une qui définit le thème et les principes d’organisation du
carnaval et l’autre qui conçoit les règlements fiscaux et délègue un pouvoir de
contrôle fiscal.
2) Une délégation de pouvoir d’organisation du carnaval aux
mairies habilitées à organiser le carnaval dans une région sous le thème et les
principes définis par les autorités centrales.
3) Une délégation de pouvoir fiscale à la branche fiscale
des mairies organisant le carnaval.
4) Un registre d’identification fiscale spéciale pour
toutes entreprises dans leurs mairies propres, indifféremment de leur taille,
pour indiquer la nature des activités à entreprendre au cours de la période
carnavalesque.
5) Une définition de l’entrepreneur carnavalesque qui est
redevable au système fiscal carnavalesque. Qu’ils louent des places sur les
stands aux spectateurs ou vendent de biens relatifs aux activités
carnavalesques ou de consommation, ils doivent se munir à tout moment d’une
pièce attestant leur droit de présence sur le parcours en tant que vendeurs.
6) Une déclaration fiscale exigible dans l’espace d’un
mois après le carnaval via un formulaire court, simple et facile à remplir.
7) Un service de réception et de traitement de la
déclaration fiscale. La possession d’une identité fiscale renouvelable
annuellement incombe à tout entrepreneur carnavalesque, actif ou pas dans le
carnaval, de faire cette déclaration fiscale pour informer de sa présence ou de
son absence.
8) Une ligne démarquant ceux qui doivent faire une
déclaration ou sont sujets simplement à une somme forfaitaire comme obligation
fiscale carnavalesque.
9) Une redevance symbolique liée aux frais
d’enregistrement pour l’identification fiscale carnavalesque et établir un
droit de présence, peu importe la nature des activités économiques.
10) Des
principes régulant les types d’activités et la présence des entrepreneurs sur
le parcours, et ceux sanctionnant les infractions.
Cette organisation économique du carnaval implique
l’apport de l’Etat via le coup de pouce habituel et la mise au point du système
fiscal dans l’objectif d’alimenter une caisse d’autofinancement carnavalesque
dans le futur.
Pour l’organisation esthétique de l’espace
La population a soif de voir du beau et elle l’exprime par
leur empressement vers le champ-de-mars les jours suspectés comme début de la
construction des stands. Malheureusement, elle trébuche toujours sur un
chantier en cours même à l’ouverture des festivités le premier jour gras. Le
temps étant en querelle avec une planification tardive chronique, l’espoir de
voir et d’évaluer tous les stands pour découvrir les plus magnifiques s’est
vite dissipé. Le défilé carnavalesque surprend le charpentier ou l’artiste
entrain de donner son dernier coup de marteau ou de pinceau. Les regards
inquisiteurs se font vite prisonniers des performances des groupes d’artistes
sur le parcours pour se priver de la vue anarchique ‘bidonvilloise’ des
stands, et de la disposition des ‘demeleurs’. De force, ceux-ci
bousculent les spectateurs vers les lieux mêmes des prestations pour occuper
les trottoirs réservés à ceux qui n’ont pas accès à un stand. Spectateurs et
artistes confondus sur un panorama de stands ‘pito nou lèd nou la’ donnent
un tableau primitif qui laisse beaucoup à désirer. Dépourvu d’esthétique, le
cadre devant recevoir les festivités, n’est qu’un inhibiteur à la rentabilité
carnavalesque.
Etant une prérogative de l’Etat, la charge lui revient
d’organiser l’espace de manière à faire ressortir la beauté inhérente à l’ordre
et à la discipline. Dans la conception globale du cadre, il est judicieux :
1) De diviser tout le parcours carnavalesque en différents
points d’attraction et donner à chacun un profil représentatif différent l’un
de l’autre, mais qui répond au thème du carnaval.
2) De lancer un concours de maquette carnavalesque à des
firmes d’ingénieurs architectes comme cibles. Il y aura autant de maquettes
sélectionnées que de points dédiés sur le parcours.
3) Diviser chaque point en plusieurs lotissements dont
chacun comprendra son groupe de stands, ses différents points de vente et
d’autres services à proximité des stands pour éviter leur disposition
anarchique et exiguë.
4) D’interdire aux ‘demeleurs’ de déambuler tout au
long du parcours. Ce qui obligerait les consommateurs à se rendre au point de
vente le plus proche.
5) De garder sur les trottoirs les spectateurs avec des
séparateurs pour les empêcher de se mêler aux acteurs en prestation.
6) D’exiger que toute construction de stands, de points de
vente et de toutes autres choses soit d’un standard propre à chaque lotissement
comme suggèrent les maquettes pour une question d’identification ou de repère.
7) De déterminer les dimensions des stands ou des points
de vente en fonction d’une échelle de capacité d’accueil en terme de tailles
petites, moyennes, grandes et super grandes.
8) D’évaluer les coûts d’acquisition d’un espace stand sur
leurs dimensions physiques et artistiques à réaliser par les firmes dont les
maquettes sont choisies. Ils doivent être abordables et assumés par le privé.
Dans certains cas, l’Etat peut subventionner la construction de quelques stands
pour garantir un gain aux firmes d’ingénieurs – architectes.
9) De permettre au preneur de disposer de son stand comme
bon lui semble tout en respectant les critères et consignes établis pour rendre
le spectacle agréable.
10) De
déterminer l’intervalle de variation des frais à payer par un spectateur sur un
stand, mais qui seront ajustés par la concurrence sans aller hors de
l’intervalle. Toutefois, tout accès payant aux stands subventionnés sera
interdit.
De telles dispositions faisant appel à l’esthétique pour
attirer l’admiration ouvre les portes au tourisme carnavalesque. Différentes
catégories afflueraient sur les lieux en fonction du temps, de leur
disponibilité ou de leurs intérêts non simplement pour danser, mais aussi pour
admirer le charme singulier des stands avec une touche personnelle des privés. Divorcé
d’avec la construction anarchique bidonvilloise
d’aujourd’hui, le lieu regagnerait son image touristique d’antan. L’esthétique
émanée de cette nouvelle manière de voir ou de faire renforcerait la rentabilité
carnavalesque en gardant érigés les stands avec leurs accessoires quelques
semaines de plus au lieu de les démolir au lendemain du mardi gras. Qui, avec
un penchant artistique et le goût du beau, ne souhaiterait pas reprendre le
parcours dans la sérénité sans crainte d’être bousculé ou agressé, pour mieux
admirer les stands comme des œuvres d’art. Dans une telle perspective, un temps
plus long de planification serait nécessaire, parce que tout doit être prêt au
moins deux semaines avant les trois jours gras, pour maximiser la rentabilité
carnavalesque.
Pour une meilleure coopération du secteur des
affaires
Le secteur des affaires s’emballe dans l’inefficience en
sponsorisant les groupes. C’est un défi à toute logique du marketing qui
engendre un déséquilibre et tue la production artistique des groupes. Quelle
est cette logique qui oblige qu’une compagnie sponsorise un nombre de groupes
qui endossent d’autres, parfois ses courants simultanément ? Ce micmac de
sponsorisation rend excessivement coûteux l’acte du marketing. Se vendre ne
veut pas dire qu’il faut encaisser les coûts n’importe comment. En outre une
injustice se produit quand une entreprise rode autour de quelques mêmes groupes
pour distribuer ces coûts de sponsorisation. Certains groupes avec une
production artistique hors pair qui sont sélectionnés par le comité
carnavalesque ne trouvent pas de sponsor pour se présenter. Ce serait
économiquement correcte de sponsoriser un seul groupe, à la rigueur deux dont
un très bien côté et l’autre moins bien côté.
S’il y avait plus de sponsors que de groupes admis pour le
défilé, ceux-ci auraient pu tous se présenter afin de pluraliser et d’épicer
les festivités. Encore, l’Etat pourrait intervenir pour limiter le nombre de
groupes qu’une entreprise peut sponsoriser ou le nombre de sponsors qu’un
groupe peut endosser. Aussi, il pourrait déterminer la ligne de démarcation
financière pour sponsoriser les groupes en partie ou entièrement. Une telle
structure non seulement rendrait plus de fonds disponibles chez un sponsor pour
s’approprier d’un groupe exclusivement. Le processus de sponsorisation se
ferait suivant une formule semblable à celles de vente aux enchères mais avec
un plafond.
La coopération du secteur des affaires via une sponsorisation
mieux ciblée et équitable et la conception architecturale du parcours inciterait
le tourisme carnavalesque, et allégerait énormément la charge financière de
l’Etat. Celui-ci serait limité simplement à son rôle régulateur et incitateur pour
mieux se positionner et jouir de la rentabilité carnavalesque en renflouant la caisse
publique sans avoir à effectuer trop de débours.
Jean POINCY
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