Cadre de réflexion
La chute libre de la gourde
face au dollar américain confirme l’état dysfonctionnel de l’économie Ayitienne
caractérisée par une absence de production et une importation excessive de la
majorité des biens de consommation. Consacrant ainsi la dépendance totale du
pays de l’extérieur, il en résulte non seulement une fuite de ressources
financières, mais aussi un blocage au développement des industries locales. Par
défaut, le supposé producteur devient strictement
importateur-distributeur-commerçant et rend inappropriée la consommation
interne. Cette pratique économique nécessite une réserve considérable de devise
américaine pour rendre effective ladite consommation.
Cette fuite du dollar
serait insignifiante si la rentrée du dollar lui était nettement supérieure à
partir d’un niveau élevé de production dédiée à l’exportation. Ce que la nature
extravertie de l’économie Ayitienne dont la production nationale vise le marché
international aurait pu aider à faire. Tel n’est pas le cas. Mis à part la
mangue francique qui donne au pays une notoriété imbattable, tous les autres
produits d’exportation incluant le café, de bonne réputation, font face à une
rude compétition sur le marché international. En conséquence, la marge d’entrée
en dollar, excessivement réduite, ne peut pas compenser sa fuite issue de
l’importation.
Sans tenir compte des
besoins exprimés par la population pour des voyages et frais d’études des
citoyens Ayitiens en terre étrangère asséchant les réserves de dollar, l’état
dysfonctionnel de l’économie à elle seule suffit à maintenir dans l'abîme la
gourde pendant longtemps. Pourquoi ce tollé autour de la parité actuelle de
plus de 50 gourdes pour 1 dollar américain quand ce gouffre est une suite
logique du comportement des agents économiques du pays ? Se plaindre d’une
chute continue de la gourde ne signifie aucunement la prise de nouvelles
mesures pour dynamiser l’économie Ayitienne. Cette réaction se rapporte plutôt à
une crainte d’incapacité financière au mépris de l’état de l’économie. Les
grognes auraient dû être contre le fait que la parité n’est pas 1 gourde pour 1
dollar. Plutôt, l’écart inacceptable entre ces deux devises semble être la
norme. Il est question de s’adapter même après une chute vertigineuse de la
gourde en guise de définir une stratégie de remontée de la gourde jusqu’à une
parité égale avec le dollar.
Cela est réalisable dans le
temps avec la prospérité économique qui dépend d’une économie dynamique. Son
essence est la production locale pour la consommation locale où les
distributeurs-commerçants deviennent de réels producteurs-commerçants. Ce
faisant, il en résulte une relation circulaire de transactions entre producteurs
et consommateurs locaux pour ralentir considérablement la fuite du dollar et augmenter
en retour la valeur de la gourde. L’objectif étant la prospérité économique, il
est à promouvoir la production nationale, par le biais des secteurs
porteurs avec une forte capacité de transformation et de création d’emplois, d'un
replâtrage du système bancaire pour faciliter des prêts à l’investissement, et
d'une politique d'emplois.
Ce texte rappelle qu'aucun progrès
social ne sera possible sans la prospérité économique. Faisant de celle-ci le levier du changement, il est opérable sur
trois vitesses qui touchent principalement, la nature des activités de
production envisagées, l'investissement capable de rendre effectives les
activités de production des biens consacrés à la consommation locale, et le
pouvoir d'achat qui, dépendant de l'investissement local ou étranger, permet
d'alimenter la consommation des biens locaux pour concrétiser la relance
économique.
De la prospérité économique
La prospérité économique
suppose initialement la propulsion de la production nationale pour la
consommation nationale et le plein emploi des ressources dans des activités de
production à haute intensité de main-d'oeuvre. La stratégie la plus payante est
donc l’industrialisation qui entend la production massive des biens de
consommation. La majorité de la population active directement impliquée dans le
processus de production sera détentrice d'un revenu régulier qui coupera la
corde de dépendance financière vis-à-vis d'un pourvoyeur, pour ne pas dire de l’Etat.
Avec un revenu gagné à la sueur de son front, tout individu ou parent serait
apte à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ; et devant le gagner, il
se conditionnerait à pouvoir le faire dans la constance et la discipline.
Au temps initial de la
relance économique, il importe d’employer le plus de gens que possible. Avec
toutes ses tares, le secteur qui semble être le plus capable de répondre à
cette exigence est celui de l’assemblage, déjà en tête de liste des autres
secteurs en terme d’emplois. Toutefois, il mérite une attention particulière
pour non seulement calmer la tension relative au salaire minimum, mais aussi
pour faciliter son expansion afin d’éponger le nombre de chômeurs sur le
marché. Concrètement, le problème réside
non dans le salaire minimum, mais dans le chômage qui est la source principale
d’instabilité et d’insécurité. Aussi bas que soit le salaire minimum, un
accompagnement social apporté aux ouvriers suffirait pour le rendre
insignifiant.
Des retombées immédiates
N’étant plus chômeur, l’ouvrier
devient un consommateur effectif du bien qu'il contribue à produire, parce que
le revenu gagné en contrepartie de son travail fourni lui apporte le pouvoir
d'achat nécessaire à toute idée d'amélioration de ses conditions de vie. L'Etat
de son côté se garantirait une entrée fiscale régulière via l'impôt sur le
revenu du travailleur et les taxes prélevées sur les produits consommés. Ce
serait une source de revenu public indéniablement sûre et quasiment
intarissable qui permettrait à l'Etat d'intervenir pour accompagner l'économie
en mettant en place les infrastructures de base, et pour assister les plus
vulnérables.
Cette logique économique
incontournable dote l'Etat de la capacité requise pour bien remplir sa mission,
rendre effectives ses actions, réduire sa charge d'assistance sociale, tirer le
pays de la pauvreté absolue, et donner une chance à chaque individu de pouvoir
répondre lui-même à ses obligations sans qu'il soit assisté par quiconque. Ne
pas en tenir compte épinglerait la disposition politique de l'Etat à la
mendicité internationale ou l'obligerait à alimenter sa caisse de revenu public
à partir d'une source fiscale aléatoire ou par l'exaction fiscale qui est le
cas actuellement avec la montée soudaine des frais exorbitants sur les demandes
de documents officiels. Cela risquerait de neutraliser tous les efforts
louables de diriger autrement.
De la production comme
première vitesse
Etant donné que faciliter
l'accès à la nourriture est un devoir d'Etat et que les gestionnaires de la société
ne semblent pas savoir comment y arriver, la tendance serait de pencher vers la
production agricole pour combattre la faim qui y sévit. La visée étant la
prospérité économique dont le déclenchement nécessite l’absorption massive des
chômeurs en un temps record, l’approche de la production agricole comme porte
d’entrée pour la création massive d’emplois ralentirait le processus. Comme
actuellement pratiquée, c’est-à-dire elle n’est aucunement profitable à
l'investisseur si elle n'est pas subventionnée. Elle le serait davantage
moindre compte tenu des conditions dégradantes du sol, de la mauvaise gestion
du territoire, de la non-maitrise de l’eau et de la déficience naturelle de
l'agriculture offrant un rendement décroissant.
Si le gouvernement décide
de consacrer les ressources de production soit à la relance de l'agriculture ou
au maintien pur et simple du secteur d'assemblage pour garantir la prospérité
économique, il y aura l'effet contraire qui tiendra davantage le pays dans la
misère parce que la machine de production ne sera pas effectivement démarrée.
Ce sera fait quand le marché local, comme moteur de tout développement
économique, sera propulsé. Initialement, l'accent doit être mis sur la
production des biens manufacturés dans un système de production à plusieurs
niveaux de transformation capable d'absorber autant de chômeurs possible.
Ceux-ci, avec le revenu gagné, auront à consommer ce produit fabriqué dont
l'usure exige son renouvellement. Aussi, sera augmentée la demande de produits
agricoles au bénéfice des agriculteurs qui peinent actuellement à élever leur
niveau de revenu d’une population sans pouvoir d’achat. Autant que la
production massive de ces biens y favorise l'accès en terme de disponibilité et
de coût d'acquisition, la demande sera soutenue en permanence pour garder en
marche la machine de production.
Avec un système de
production dédié au marché local, il y a lieu d’envisager une prospérité
économique issue de la force productrice locale. Les investisseurs locaux qui,
trouvant une garantie de protection de leurs biens et propriétés, et des
possibilités de maximiser leurs profits, seraient enclins à conjuguer avec le
gouvernement qui les inviterait à embrasser le choix des activités de
production. Pour répondre spécifiquement aux besoins de la population, ils
utiliseraient le travail de la population active en contrepartie d'un revenu lui
permettant de répondre à ses responsabilités. L'expérience accumulée dans le
temps, permettrait de maitriser les techniques de faire, d'améliorer la qualité
de la production, d'augmenter la production nationale au-delà du seuil de
satisfaction de la société afin de s'engager dans l'exportation des biens
manufacturés produits et de devenir compétitif sur le marché international.
De l'investissement comme
deuxième vitesse
L'investissement comme
deuxième vitesse est clé. En effet, il ne suffit pas de lister les activités de
production prioritaires s'il n'y a pas d'investisseurs intéressés à risquer
leurs fonds dans des activités de production choisies par le gouvernement. Il
n'existe pas d’investisseurs bons samaritains. Celui qui accepte d'investir
prend un risque. En entrant dans le jeu que pour des profits, il doit
indubitablement les maximiser grâce aux avantages offerts. Il n'y prendra aucun
risque si son investissement n'est pas protégé et que le retour n'est pas très
prometteur. Personne n'acceptera d'investir en Ayiti par pitié. Encore, il est
un devoir d'Etat d'inviter des investisseurs à prendre le risque dans des
activités de production prônées. En toute bonne conscience, une autorité
responsable doit créer des conditions pour attirer les investissements locaux
ou étrangers. Face au risque, ces investissements seraient conditionnés par la
protection de l’Etat et la maximisation des profits. L’action positive est de
garantir la stabilité politique et sociale devant permettre la tenue des
activités économiques en toute quiétude.
N’ayant jamais eu un plan
directeur pour les activités de production, il est difficile d'attirer un
investisseur. En effet, si l'investisseur local refuse de risquer ses fonds
dans son propre pays, il est inimaginable qu'un investisseur étranger vienne s'y
aventurer avec les siens. Le primordial fait défaut, c'est-à-dire la sécurité
de sa personne, et de ses biens et propriétés n'est pas garantie. En outre, le
cadre d'activités de production prioritaires n'existe pas. Sans y penser, les
pourfendeurs de la relance économique du pays ne jurent que par
l'investissement étranger. Leur point de repère est l'investissement dans
l'industrie d'assemblage au niveau des zones franches où pullule seulement le
maillon d'assemblage du secteur textile auquel l'industrie textile est
faussement réduite.
Continuer à se reposer sur
l'investissement étranger est une très grande illusion. Beaucoup de ressources
sont dépensées pour l'attirer, mais les efforts s’avèrent vains et utopiques.
D'où vient l'écart ? Le type d'investissement étranger qui serait profitable à
l'économie est l'investissement direct étranger (IDE) comme a fait la Digicel,
la compagnie de télécommunication. Un tel investissement implique des
engagements durables qui requièrent d'énormes débours dans une activité de
production promettant des profits considérables. Aussi, il suppose que le pays
hôte ait un niveau de pouvoir d'achat devant permettre à l'investisseur de vite
récupérer financièrement et maximiser son profit par la suite.
La nature des activités de
production dans le secteur d'assemblage n'incite pas à consentir de tels
débours. La zone franche n'est qu'une simple échappatoire permettant aux firmes
multinationales d'éviter les coûts de main-d'oeuvre exorbitants et des
protections sociales offertes aux travailleurs dans leurs pays d'origine aux
fins de rester compétitives sur le marché international. Vu le degré de
simplicité de certaines tâches à effectuer dans le processus de production,
elles délocalisent le maillon respectif pour profiter de la main-d'oeuvre à bon
marché et de rester compétitives sur le marché international. La condition
attrayante des IDE dans le secteur d'assemblage est fictive. Il faut cesser de
se leurrer en pensant les attirer dans les zones franches à l'instar de ce que
fait Digicel dans la télécommunication.
En référence au succès des
pays asiatiques qui ont hébergé le secteur d'assemblage, il ne faut pas oublier
qu'ils ont mis en place une politique de production axée sur la remontée des
filières leur permettant de devenir eux-mêmes producteurs des intrants, ou même
des outils de production, au point de les exporter dans le temps. Donc, ils
n'étaient pas simplement des pays-assembleurs de produits finis. Avec une forte
implication de l'Etat dans le processus de planification de leur développement
économique, ils exigeaient le transfert des technologies pour que dans le temps
ils arrivent à construire tous les maillons d'une industrie et développer toute
la chaîne de l’industrie dans son intégralité, l'industrie textile en
l'occurrence. Ce n'est pas le cas pour Ayiti qui, depuis l'introduction du
secteur d'assemblage dans les années 70, accuse une complaisance dans ce
secteur de faible valeur ajoutée, et qu'on se contente d'identifier à
l'industrie textile.
Du pouvoir d'achat comme
troisième vitesse
Le pouvoir d'achat comme
troisième vitesse du levier de prospérité économique est crucial à la relance
économique, parce qu'il est le seul capable d'alimenter la consommation,
l'essence même de toutes activités économiques. S'il est clair que l'investissement
comme deuxième vitesse du levier de prospérité économique agit sur la force
motrice d'une économie, il perd de son régime dans une société où le pouvoir
d'achat est presque nul. Sachant que le besoin de consommer exige des
investisseurs à produire, il faut le pouvoir d'achat pour rendre effective la
consommation dont le défaut n'encourage aucun investisseur à prendre le risque.
Le paradoxe est que le pouvoir d'achat dépend de l'investissement.
Ce qui importe le plus
maintenant est une politique d'investissement capable de persuader
l'investisseur que le pouvoir d'achat qui découlera de son investissement par
la création d'emplois sera sa source principale de maximisation de profits.
Etant donné que la stratégie de production accordera la priorité au marché
local, le choix de l'investisseur porté sur une activité de production prévue
permettra l'utilisation des ressources locales et créera des emplois en
conséquence. Sachant que le pouvoir d'achat créé sera principalement consacré à
la consommation des produits locaux, la politique commerciale accompagnatrice
devra protéger la production d'un tel investisseur contre des importations qui
amputeraient le profit de l'investisseur.
Concrètement, les forces
d'attraction des IDEs sont la taille du marché et le (potentiel) pouvoir
d'achat du pays hôte pour lequel l'investisseur va produire. A défaut de quoi,
il n'y aura pas d'investissement direct. Avec une population de près de 11
millions d'habitants, le pays ne représente pas encore un centre d'attraction idéal
à l’IDE. Même si le pays se convertit en récepteur de zones franches et
bénéficie d’une main-d’œuvre à bon marché, la prospérité économique ne verra
pas le jour en absence d’une intégration rectiligne ou verticale des différents
maillons de la chaîne de transformation. Cela nécessite de nouvelles
stratégies, pour aller au-delà de l’assemblage et garantir l’intégration
effective de nouveaux maillons en aval tout au long de la chaîne. Cette
considération étant faite, ce secteur peut propulser l’économie par la création
de nouveaux emplois. Cela fait du marché de 11 millions un marché relativement
large pour soutenir la croissance économique pourvu que la production est
principalement tournée vers le marché local.
Jean POINCY
Vice Recteur Académique
Université d'Etat d'Haïti
Candidat à la Présidence
Haïti 2016
Haïti 2016
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