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FÒK SA CHANJE

jeudi 1 décembre 2011

Le malaise institutionnel de l'Université d'Etat d'Haïti


Ayiti est sujette à de virulentes critiques qui ne laissent entrevoir aucune issue dans un temps ou dans un autre. Relativement généralisé, ce pessimisme pousse dans l'ombre un acquis fondamental qui est une nouvelle dynamique portée sur l'obligation institutionnelle de renouveler par les urnes l'équipe dirigeante d'une institution. Certes ! le processus est tortueux et enchevêtré d'imperfections, mais c'est de la nature de toute transition démocratique où les acteurs apprennent à se tolérer l'un l'autre pour coopérer. Aucune institution n'en est épargnée. En dépit de tout, ceux qui tiennent au changement s'y engagent corps et âme, toujours dans l'espoir d'un renouveau. Les élections présidentielles dans le pays depuis l'adoption d'un système démocratique en sont une parfaite illustration. Dans ce même courant, l'Université d'Etat d'Haïti (UEH), comme institution d'enseignement supérieur, est en phase de renouveler son conseil exécutif bientôt pour répondre aux attentes de la collectivité. Un tel contexte invite à faire état du malaise institutionnel qui explique la difficulté de l'UEH dans ses efforts d'accompagner le pays en quête d'un mieux-être.

Le contexte

L'enseignement supérieur en Ayiti accuse des déficiences critiques qui dévaluent toute formation académique prodiguée dans le milieu. Les corriger un jour ou l'autre est le souhait de toute la communauté académique. Cependant, entreprendre des actions concrètes et appropriées pour y remédier est le hic associé souvent à l'insouciance et à un manque d'investissement. C'est dire que la volonté est là, les idées sont là, mais les fonds nécessaires capables de les matérialiser ne sont pas au rendez-vous. Ce point de vue quasiment partagé met à l'index l'Etat pour son manque de responsabilité vis-à-vis de la préparation des jeunes et de la bonne marche de la société. Si malgré l'implication du secteur privé dans l'enseignement supérieur l'Etat est mis en ligne de mire, c'est parce que l'histoire révèle sa prise en charge de la formation supérieure tant en termes de directives que de financement. Donc, comme chef de file et organe d'actions de l'Etat sur l'enseignement supérieur, l'UEH absorbe toutes les critiques adressées à l'enseignement supérieur en Ayiti. Du même train, s'il vient à réparer celui-ci, l'UEH en est le laboratoire dont l'issue servira de modèle pour toute autre entité qui se lance dans l'enseignement supérieur.

Le problème institutionnel de l'UEH

La structure institutionnelle révélant une absence d'homogénéité constitue l'obstacle à la bonne marche de l'UEH. Ses difficultés de gestion sont intimement liées au défaut d'une relation hiérarchique des normes de fonctionnement entre l'unité administrative centrale, qui est le rectorat, et les facultés qui forment l'université. Si depuis près d'une décennie il existe des dispositions transitoires devant faciliter sa réforme, un règlement de fonctionnement unifiant toutes ses entités fait grand défaut. Ce vide ne saurait unifier les principes de fonctionnement que chaque faculté hérite de l'histoire de leur naissance respective. Ayant vu le jour l'une indépendamment de l'autre et fonctionnant pendant un nombre d'années en absence d'un organe administratif commun, outre les principes fondamentaux leur donnant naissance, il est normal que chaque faculté développe une certaine culture de fonctionnement propre à elle. La décision sage de l'Etat de tirer ces entités de leur hétérogénéité pour les rassembler en une université et former l'UEH n'a jamais pu neutraliser jusqu'à présent l'effet de morcellement de celle-ci en des entités distinctes l'une de l'autre.

Concrètement, pendant que pour une université on devrait parler d'un règlement de fonctionnement standard commun régissant les activités académiques et d'une structure organisationnelle semblable, il est question d'une diversité de règlements et de structures organisationnelles. Approximativement, il y a autant de règlements de fonctionnement et de structures organisationnelles que de facultés. Pourtant, celles-ci, lors même différentes d'une faculté à l'autre avec des doyens et vice-doyens, directeurs et coordonnateurs, reflètent à peu près la structure organisationnelle de l'unité centrale de gestion avec les trois membres constituant le corps exécutif composé du recteur et de deux vice-recteurs. Cette configuration organisationnelle, bien que similaire dans une certaine mesure, dévoile des règlements de fonctionnement propres avec une tendance vers le détachement de l'unité administrative centrale plutôt que de son rapprochement.

Si aujourd'hui une gouvernance unitaire semble se manifester, c'est en raison d'une certaine autonomie de gestion financière de l'UEH octroyée depuis quelques années par l'Etat à l'unité centrale de gestion. En effet, via le budget commun de l'UEH, les débours de chaque faculté passent par l'administration centrale. Cette gestion financière unifiée de l'UEH ne reflète aucunement une gestion académique unifiée. En fait, chaque faculté a sa propre manière de gérer ses activités académiques et souvent outrepasse les décisions académiques émanées de l'unité centrale de gestion. Un tel comportement fait abstraction de la nécessité d'une gestion constante de l'académique d'une université. Si l'autonomie financière accordée à l'UEH était perçue comme un moyen de freiner la dictée de l'Etat, elle est loin d'être l'outil d'autorité permettant à l'unité centrale de gestion d'assurer la gouvernance universitaire.

Pendant que l'Etat cesse d'avoir une influence administrative et financière sur la marche des facultés, celles-ci échappent à l'emprise de l'unité centrale de gestion qui se substitue à l'Etat et conservent le pouvoir de suivre ou de ne pas suivre les directives de celle-là, pour conduire à sa guise la gestion académique. La résultante est un effet d'absence d'autorité descendante sur toute la pyramide de commande tant au niveau administratif qu'au niveau académique. D'un côté, les professeurs et le personnel administratif ne suivent pas les normes établies par le décanat ou la direction d'une faculté, et de l'autre la majorité des étudiants ne respectent pas ces derniers et se comportent comme ils veulent. En retour, les décisions prises par une faculté qui, suite à des litiges, devraient être validées par l'unité centrale sont souvent restées pendantes. Ce qui se résume en un circuit de complicité pour tolérer les méfaits de l'un et de l'autre, et faire tourner la roulette.

Une telle atmosphère de gestion universitaire génère des effets pervers pouvant compromettre la formation académique des jeunes et hypothéquer simultanément l'avenir du pays. Ce qui est imputable à la nature contradictoire de la gestion faite de l'ensemble de l'université. Il importe de comprendre ici que la gestion d'une université relève d'un principe universel de gestion, qui est de prévenir des conflits et de résoudre promptement ceux qui surviennent. Indifféremment de la nature des activités, tout corps exécutif est d'abord guidé par cette loi fondamentale. Cela ne veut pas dire qu'une décision prise n'est pas génératrice de conflits. Au contraire, toute décision prise a un potentiel conflictuel, mais il revient au gestionnaire d'en diminuer les risques et d'en trouver des palliatifs menant vers une solution acceptable. Dans cet ordre d'idées, aucun corps exécutif à l'UEH n'en devrait être exempt.

Etant donné qu'il est appelé à gérer les affaires de cette dernière et que sa gestion n'est pas affranchie de ce principe fondamental, il est inconcevable qu'il crée des conflits plus qu'il n'arrive à en résoudre et qu'il les amplifie pour entériner un système de gestion conflictuel chronique. En effet, rares sont les décisions prises par les gestionnaires de l'université qui ne dégénèrent pas en conflits quasi insolubles. Privées d'outils d'analyses et de résolution de conflits permettant respectivement d'évaluer les conséquences d'une décision et de résoudre des situations conflictuelles sans casse, les facultés qui sont le berceau des conflits se branchent sur l'unité centrale de gestion déjà impotente. Qu'il s'agisse de conflits entre le corps exécutif et le personnel, et entre étudiants, ils sont rarement résolus pour devenir une gangrène entravant la gouvernance de l'université.

Dans ces circonstances, l'UEH financée par l'Etat devient incapable de fournir des cadres qualifiés pour faciliter la bonne gestion du pays. Paralysée par une incapacité d'adaptation aux exigences académiques modernes, elle, comme institution, est à bout de souffle pour conserver une présence dans le monde universitaire. Comment comprendre son rôle vis-à-vis de la société si elle persiste dans cette voie annonciatrice de sa disparition. Comme organisation, elle se trouve dans l'obligation de se refaire pour ne pas mettre fin à son existence. Si son bailleur de fonds insatisfait décide de ne plus la financer pour réallouer ses fonds ailleurs ou dans d'autres institutions d'enseignement supérieur, l'UEH ne sera qu'un souvenir. Déjà, l'Etat fait état de son mécontentement en réduisant son allocation budgétaire et en rendant épineux les chemins de décaissement de la pitance allouée soit pour le fonctionnement ou autre. En outre, si les cris des universités privées réclamant des subventions de l'Etat sont entendues et que celui-ci en donne suivant le mérite ou la performance académique d'une université, il est certain que l'UEH sera silencieusement effacée du tableau de financement de l'Etat accordé à l'enseignement supérieur.

Il est certain que le souhait de tous ceux qui sont impliqués dans la gestion de l'UEH est de revoir reprendre l'étendard de l'enseignement supérieur d'antan quand la formation académique valait son pesant d'or sur le marché international de l'enseignement supérieur. Cependant, les perspectives divergentes de la modernisation de l'université rendent difficile une telle réalisation. Une situation conflictuelle qui risque de neutraliser tous les efforts entrepris pour relancer l'UEH, si les acteurs ne s'accordent pas pour uniformiser leurs perceptions ou les adapter à une vision académique nettement définie en fonction des besoins et de la réalité du pays. Le problème institutionnel étant posé, la marche vers une meilleure stratégie pour élever l'UEH au rang des universités du premier monde est possible. Pour ce faire, la volonté de coopérer doit être présente chez l'équipe choisie par la communauté de l'UEH.

NB : L'essentiel de ce texte est une reprise de certaines idées déjà ébauchées dans différents articles parus dans Le Matin lors des dernières élections pour renouveler le Conseil exécutif de l'UEH en 2007.


Jean POINCY
caineve@yahoo.fr

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