Ayiti est sujette à
de virulentes critiques qui ne laissent entrevoir aucune issue dans un temps ou
dans un autre. Relativement généralisé, ce pessimisme pousse dans l'ombre un
acquis fondamental qui est une nouvelle dynamique portée sur l'obligation
institutionnelle de renouveler par les urnes l'équipe dirigeante d'une
institution. Certes ! le processus est tortueux et enchevêtré d'imperfections,
mais c'est de la nature de toute transition démocratique où les acteurs
apprennent à se tolérer l'un l'autre pour coopérer. Aucune institution n'en est
épargnée. En dépit de tout, ceux qui tiennent au changement s'y engagent corps
et âme, toujours dans l'espoir d'un renouveau. Les élections présidentielles dans
le pays depuis l'adoption d'un système démocratique en sont une parfaite
illustration. Dans ce même courant, l'Université d'Etat d'Haïti (UEH), comme
institution d'enseignement supérieur, est en phase de renouveler son conseil
exécutif bientôt pour répondre aux attentes de la collectivité. Un tel contexte
invite à faire état du malaise institutionnel qui explique la difficulté de
l'UEH dans ses efforts d'accompagner le pays en quête d'un mieux-être.
Le
contexte
L'enseignement
supérieur en Ayiti accuse des déficiences critiques qui dévaluent toute
formation académique prodiguée dans le milieu. Les corriger un jour ou l'autre
est le souhait de toute la communauté académique. Cependant, entreprendre des
actions concrètes et appropriées pour y remédier est le hic associé souvent à
l'insouciance et à un manque d'investissement. C'est dire que la volonté est
là, les idées sont là, mais les fonds nécessaires capables de les matérialiser
ne sont pas au rendez-vous. Ce point de vue quasiment partagé met à l'index
l'Etat pour son manque de responsabilité vis-à-vis de la préparation des jeunes
et de la bonne marche de la société. Si malgré l'implication du secteur privé
dans l'enseignement supérieur l'Etat est mis en ligne de mire, c'est parce que
l'histoire révèle sa prise en charge de la formation supérieure tant en termes
de directives que de financement. Donc, comme chef de file et organe d'actions
de l'Etat sur l'enseignement supérieur, l'UEH absorbe toutes les critiques
adressées à l'enseignement supérieur en Ayiti. Du même train, s'il vient à
réparer celui-ci, l'UEH en est le laboratoire dont l'issue servira de modèle
pour toute autre entité qui se lance dans l'enseignement supérieur.
Le
problème institutionnel de l'UEH
La structure
institutionnelle révélant une absence d'homogénéité constitue l'obstacle à la
bonne marche de l'UEH. Ses difficultés de gestion sont intimement liées au
défaut d'une relation hiérarchique des normes de fonctionnement entre l'unité
administrative centrale, qui est le rectorat, et les facultés qui forment
l'université. Si depuis près d'une décennie il existe des dispositions
transitoires devant faciliter sa réforme, un règlement de fonctionnement
unifiant toutes ses entités fait grand défaut. Ce vide ne saurait unifier les
principes de fonctionnement que chaque faculté hérite de l'histoire de leur
naissance respective. Ayant vu le jour l'une indépendamment de l'autre et
fonctionnant pendant un nombre d'années en absence d'un organe administratif
commun, outre les principes fondamentaux leur donnant naissance, il est normal
que chaque faculté développe une certaine culture de fonctionnement propre à
elle. La décision sage de l'Etat de tirer ces entités de leur hétérogénéité
pour les rassembler en une université et former l'UEH n'a jamais pu neutraliser
jusqu'à présent l'effet de morcellement de celle-ci en des entités distinctes
l'une de l'autre.
Concrètement,
pendant que pour une université on devrait parler d'un règlement de
fonctionnement standard commun régissant les activités académiques et d'une
structure organisationnelle semblable, il est question d'une diversité de
règlements et de structures organisationnelles. Approximativement, il y a
autant de règlements de fonctionnement et de structures organisationnelles que
de facultés. Pourtant, celles-ci, lors même différentes d'une faculté à l'autre
avec des doyens et vice-doyens, directeurs et coordonnateurs, reflètent à peu
près la structure organisationnelle de l'unité centrale de gestion avec les
trois membres constituant le corps exécutif composé du recteur et de deux
vice-recteurs. Cette configuration organisationnelle, bien que similaire dans
une certaine mesure, dévoile des règlements de fonctionnement propres avec une
tendance vers le détachement de l'unité administrative centrale plutôt que de
son rapprochement.
Si
aujourd'hui une gouvernance unitaire semble se manifester, c'est en raison
d'une certaine autonomie de gestion financière de l'UEH octroyée depuis
quelques années par l'Etat à l'unité centrale de gestion. En effet, via le
budget commun de l'UEH, les débours de chaque faculté passent par
l'administration centrale. Cette gestion financière unifiée de l'UEH ne reflète
aucunement une gestion académique unifiée. En fait, chaque faculté a sa propre
manière de gérer ses activités académiques et souvent outrepasse les décisions
académiques émanées de l'unité centrale de gestion. Un tel comportement fait
abstraction de la nécessité d'une gestion constante de l'académique d'une
université. Si l'autonomie financière accordée à l'UEH était perçue comme un
moyen de freiner la dictée de l'Etat, elle est loin d'être l'outil d'autorité
permettant à l'unité centrale de gestion d'assurer la gouvernance
universitaire.
Pendant
que l'Etat cesse d'avoir une influence administrative et financière sur la
marche des facultés, celles-ci échappent à l'emprise de l'unité centrale de
gestion qui se substitue à l'Etat et conservent le pouvoir de suivre ou de ne
pas suivre les directives de celle-là, pour conduire à sa guise la gestion
académique. La résultante est un effet d'absence d'autorité descendante sur
toute la pyramide de commande tant au niveau administratif qu'au niveau
académique. D'un côté, les professeurs et le personnel administratif ne suivent
pas les normes établies par le décanat ou la direction d'une faculté, et de
l'autre la majorité des étudiants ne respectent pas ces derniers et se
comportent comme ils veulent. En retour, les décisions prises par une faculté
qui, suite à des litiges, devraient être validées par l'unité centrale sont
souvent restées pendantes. Ce qui se résume en un circuit de complicité pour
tolérer les méfaits de l'un et de l'autre, et faire tourner la roulette.
Une telle
atmosphère de gestion universitaire génère des effets pervers pouvant
compromettre la formation académique des jeunes et hypothéquer simultanément
l'avenir du pays. Ce qui est imputable à la nature contradictoire de la gestion
faite de l'ensemble de l'université. Il importe de comprendre ici que la
gestion d'une université relève d'un principe universel de gestion, qui est de
prévenir des conflits et de résoudre promptement ceux qui surviennent.
Indifféremment de la nature des activités, tout corps exécutif est d'abord
guidé par cette loi fondamentale. Cela ne veut pas dire qu'une décision prise
n'est pas génératrice de conflits. Au contraire, toute décision prise a un
potentiel conflictuel, mais il revient au gestionnaire d'en diminuer les
risques et d'en trouver des palliatifs menant vers une solution acceptable.
Dans cet ordre d'idées, aucun corps exécutif à l'UEH n'en devrait être exempt.
Etant
donné qu'il est appelé à gérer les affaires de cette dernière et que sa gestion
n'est pas affranchie de ce principe fondamental, il est inconcevable qu'il crée
des conflits plus qu'il n'arrive à en résoudre et qu'il les amplifie pour
entériner un système de gestion conflictuel chronique. En effet, rares sont les
décisions prises par les gestionnaires de l'université qui ne dégénèrent pas en
conflits quasi insolubles. Privées d'outils d'analyses et de résolution de
conflits permettant respectivement d'évaluer les conséquences d'une décision et
de résoudre des situations conflictuelles sans casse, les facultés qui sont le
berceau des conflits se branchent sur l'unité centrale de gestion déjà impotente.
Qu'il s'agisse de conflits entre le corps exécutif et le personnel, et entre
étudiants, ils sont rarement résolus pour devenir une gangrène entravant la
gouvernance de l'université.
Dans ces
circonstances, l'UEH financée par l'Etat devient incapable de fournir des
cadres qualifiés pour faciliter la bonne gestion du pays. Paralysée par une
incapacité d'adaptation aux exigences académiques modernes, elle, comme
institution, est à bout de souffle pour conserver une présence dans le monde
universitaire. Comment comprendre son rôle vis-à-vis de la société si elle
persiste dans cette voie annonciatrice de sa disparition. Comme organisation,
elle se trouve dans l'obligation de se refaire pour ne pas mettre fin à son
existence. Si son bailleur de fonds insatisfait décide de ne plus la financer
pour réallouer ses fonds ailleurs ou dans d'autres institutions d'enseignement
supérieur, l'UEH ne sera qu'un souvenir. Déjà, l'Etat fait état de son
mécontentement en réduisant son allocation budgétaire et en rendant épineux les
chemins de décaissement de la pitance allouée soit pour le fonctionnement ou
autre. En outre, si les cris des universités privées réclamant des subventions
de l'Etat sont entendues et que celui-ci en donne suivant le mérite ou la
performance académique d'une université, il est certain que l'UEH sera
silencieusement effacée du tableau de financement de l'Etat accordé à
l'enseignement supérieur.
Il est
certain que le souhait de tous ceux qui sont impliqués dans la gestion de l'UEH
est de revoir reprendre l'étendard de l'enseignement supérieur d'antan quand la
formation académique valait son pesant d'or sur le marché international de
l'enseignement supérieur. Cependant, les perspectives divergentes de la
modernisation de l'université rendent difficile une telle réalisation. Une
situation conflictuelle qui risque de neutraliser tous les efforts entrepris
pour relancer l'UEH, si les acteurs ne s'accordent pas pour uniformiser leurs
perceptions ou les adapter à une vision académique nettement définie en fonction
des besoins et de la réalité du pays. Le problème institutionnel étant posé, la
marche vers une meilleure stratégie pour élever l'UEH au rang des universités
du premier monde est possible. Pour ce faire, la volonté de coopérer doit être
présente chez l'équipe choisie par la communauté de l'UEH.
NB : L'essentiel de
ce texte est une reprise de certaines idées déjà ébauchées dans différents
articles parus dans Le Matin lors des dernières élections pour renouveler le
Conseil exécutif de l'UEH en 2007.
Jean POINCY
caineve@yahoo.fr
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