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FÒK SA CHANJE

jeudi 21 juillet 2011

Le dilemme dans la quête collective en Ayiti

Introduction

Encore une fois, la saga de ratification d’un premier ministre ralentit la machine gouvernementale du pays pour la mettre au point mort. Plus d’un mois après son investiture, la branche exécutive au stade embryonnaire n’a toujours pas son premier ministre. En effet, la ratification de M Daniel G. Rouzier au poste de premier ministre n’a pas abouti. Le processus de composition du nouveau gouvernement fait l’objet de partage des postes ministériels entre deux des trois branches à part entière du système de gouvernement du pays. Pour le compléter, la branche législative juge légitime de jouer sa partition dans la gestion exécutive des affaires du pays. A juste titre, la branche exécutive n’abonde pas dans le même sens. En essayant de comprendre ce conflit, ce texte évite l’explication simpliste de coup politique attribué au rejet de M Rouzier comme premier ministre pour mettre en cause la nature égoïste et rationnelle de l’individu exerçant son libre arbitre dans une société démocratique. En conséquence, il réveille le débat provoqué par le théorème de l’impossibilité de Jonh Kenneth Arrow démontrant que la quête de bien-être collectif n’est possible que par imposition et non par la voie démocratique. Contrairement, Gordon Tullock avance qu’il suffit de coopérer pour le réaliser dans une société démocratique. Dans cette perspective,  le texte :

I : présente brièvement l’essence du théorème de l’impossibilité de Arrow ;
II : tente de confirmer la thèse de Arrow par le cas d’Ayiti ;
III : oppose la position de Gordon Tullock à la thèse avancée par Arrow ;
IV : évoque les conditions favorables au choix de la formule du ‘Tout ou Rien’ ‘ou Donnant-Donnant’.
Il conclut pour démontrer que le conflit actuel est inconciliable et même si résolu, l’absence des facteurs naturels de coopération fera de toute résolution de conflit ou sortie de crise une illusion.

I : L’essence du théorème de l’impossibilité

Le théorème de l’impossibilité de John Kenneth Arrow qui fait état du dilemme de choix collectif veut faire comprendre que le bien-être collectif recherché par toute société est impossible dans une société démocratique. Ce ne serait possible qu’avec la dictature. Son assertion repose sur le principe économique fondamental qui décrit l’homoeconomicus comme un individu égoïste et rationnel.  Cela dit que chaque individu ne cherche qu’à maximiser son intérêt dans une collectivité pendant que l’intérêt collectif est incompatible au sien.

En supposant que l’action de tout individu jouissant de sa souveraineté individuelle sans subir de restriction en absence de dictature influence l’action collective dans le même sens, il démontre les conditions de l’impossibilité du bien-être collectif dans une société démocratique. L’idée est que l’individu étant égoïste procède par un calcul rationnel pour faire un choix sur une échelle de priorités qui lui soit absolument favorable. Etant donné que la collectivité est un ensemble dindividus avec une liste de priorités différentes de laquelle chacun éprouve du mal à choisir, il leur devient impossible de concilier leurs différences au point que le bien-être collectif reflète le bien-être de chaque individu sans avoir à mélanger les alternatives des uns et des autres.

Si selon Arrow, l’objectif de toute société est de maximiser le bien-être collectif indifféremment du régime politique en place, de ses capacités techniques et de ses ressources disponibles, il en est de même pour une société démocratique. Cependant, l’option du libre-arbitre individuel, n’offre qu’une illusion, s’il faut concilier l’intérêt des uns et des autres dans la quête de bien-être collectif via un processus démocratique. En toute logique, d’après lui, le bien-être collectif ne peut être réalisé que par imposition. (Arrow : 1974, voir chaps. 2 et 4).

II : La confirmation du théorème de l’impossibilité dans le cas d’Ayiti

Reconnaissant que le bien-être collectif est toujours dans l’impasse depuis l’option démocratique en 1987 pour une meilleure Ayiti, il serait tendancieux de dire que le théorème de l’impossibilité de Arrow est confirmé. Le terrain politique étant truffé d’intérêts individuels, il est nettement absurde de reprocher à un politicien le fait de ne se soucier que de ses propres intérêts et non de ceux de la collectivité. La position d’un député qui conditionne son vote en faveur du premier ministre désigné à la satisfaction des intérêts de sa circonscription dans la déclaration de sa politique générale est rationnelle et légitime. Toutefois, considérant la politique générale comme outil devant permettre la réalisation du bien-être collectif, une réclamation similaire venue de chaque membre du parlement, risquerait de ne jamais sortir le pays du labyrinthe. C’est un paradoxe qui porte à remettre en question l’option démocratique en Ayiti pour s’accorder à la thèse d’Arrow.

En effet, toute l’histoire démocratique du pays depuis 1987 est émaillée de situations conflictuelles qui la reflètent. Dès l’aube de la mise en place de la démocratie à son agonie actuelle, les tours de passe-passe militaires, les entrées et sorties de scène du Président Jean-Bertrand Aristide, la prestidigitation silencieuse du Président René Préval face à la déchéance des partis politiques, les transactions occultes du Conseil Electoral Provisoire, l’ascendance inattendue du Président Michel Joseph Martelly et les acrobaties parlementaires autour de la ratification du premier ministre désigné sont tous agrémentés d’un bouillon d’intérêts individuels diamétralement opposés pour traduire l’impossibilité d’une quête collective qui est celle de composer le gouvernement actuel.

Ce sont autant d’acteurs politiques qui, dans le jeu d’intérêts personnels ont du mal à trouver une satisfaction personnelle. Les intérêts collectifs en souffrent en conséquence. Depuis son histoire démocratique, si la souveraineté individuelle est conquise, la capacité de concilier les différences individuelles, essentielle à l’harmonisation du vivre-ensemble, fait grand défaut. Il en résulte d’incessants conflits non gérés qui se transforment en crises pour ramener le pays à la case départ. A chaque tentative d’une quête collective, la prédominance de la souveraineté individuelle fait que chacun opte pour la formule du ‘Tout ou Rien’ en guise du ‘Donnant-Donnant’.

III : La compréhension de Gordon Tullock du dilemme observé par Arrow

Gordon Tullock fait comprendre qu’en dépit du fait que l’observation de Arrow sur l’individu égoïste et rationnel exerçant son libre-arbitre dans une société démocratique est valide, sa conclusion soutenant l’impossibilité du bien-être collectif dans une telle société n’est pas juste. Il suffit d’avoir l’équité pour garder l’harmonie collective. Sa logique est que l’interdépendance des individus, qui exige la coopération dans la quête de bien-être collectif via un processus démocratique, en est le socle (Tullock : 1967, p. 256-270). Cela dit que la coopération comme levier incontournable permet d’atténuer les différences individuelles pour faciliter la réalisation du bien-être collectif. En faire abstraction dans le jeu d’intérêts hypothèque le bien-être collectif et par extension celui de l’individu. 

En préférant la formule du ‘Tout ou Rien’ à celle du ‘Donnant-Donnant’, la jouissance de tous les bénéfices par quelqu’un ou par un groupe devient provisoire.  Pour la faire perdurer, la force ou la ruse s’impose au nom de l’injustice. Les lésés ou victimes en faveur de qui aucun système de compensation n’est prévu tendent à réagir violemment pour arrêter la jouissance du fort ou du rusé. Dans ce contexte, les interactions politiques depuis l’option démocratique sont toujours déséquilibrées et constituent un obstacle à la réalisation du bien-être collectif.

Toutes les crises politiques vécues proviennent toujours des conflits d’intérêts non gérés où le rapport de force donne précédence à la formule du ‘Tout ou Rien’ marquée par le non vouloir de coopérer. Il convient de souligner ici qu’un conflit en tant que tel n’est aucunement un inconvénient au vivre-ensemble, mais plutôt un catalyseur de la dynamique sociale. En révélant une friction d’intérêts qui peut paraître importune au vivre-ensemble, un conflit ne fait qu’indiquer des accrocs au niveau des interactions qui nécessitent d’être réparés afin de fluidifier le processus d’échange et de faciliter l’harmonie collective en conséquence.

IV : Du choix du ‘Tout ou Rien’ ou ‘Donnant-Donnant’

Si coopérer est fonction d’un conflit, ne pas le faire risque de transformer celui-ci en crise insoluble. Comme seul outil de gestion de conflit d’intérêts, l’idée de coopérer devrait être une constante à intégrer dans le calcul de tout individu qui n’évolue pas dans le monde de Robinson Crusoë où l’autre n’existe pas. Etant donné que l’autre existe dans une collectivité, le partage de l’espace limité et des ressources rares entre individus ou groupes d’individus est impératif. C’est un contexte naturellement conflictuel qu’il faut affronter et gérer pour préserver l’harmonie du vivre-ensemble. La formule d’une telle gestion est le ‘Donnant-Donnant’. Avec la coopération comme essence, elle représente le levier pouvant rendre possible toute quête collective dans une société démocratique où les intérêts sont diamétralement opposés. Etant un passage obligé, la coopération entend soit un partage équitable des bénéfices ou une compensation en faveur de ceux qui n’en jouissent pas du tout ou qui en sortent victimes. Quand il est clair que les parties prenantes ne puissent jouir d’une portion égale du bien-être collectif ou équivalente à leur aspiration, en faire une réclamation est absurde. Seule la mise en place d’un système de compensation peut rendre effective la coopération.

Ne l’ayant pas assimilé ainsi, le partisan du ‘Tout ou Rien’ plonge dans l’intransigeance en ignorant l’intérêt de l’autre dans son calcul au risque d’écourter sans le savoir sa propre jouissance d’un plaisir pérenne recherché. En conséquence, comme ni l’un ni l’autre ne jouit concrètement de son bien-être, le bien-être collectif ne se matérialise pas. Apprécier ces conditions et adhérer à la formule du ‘Donnant-Donnant’ n’amputent rien à la souveraineté individuelle dans une société démocratique, mais la renforce. Le risque encouru présentement par le pays est la négation de cette formule sur l’échiquier politique. Il est inadmissible qu’un gouvernement appelé à gérer l’espace, les ressources disponibles et les interactions individuelles dans le processus de partage opère dans le virtuel depuis sa prise de fonction.

En rejetant la formule du ‘Donnant-Donnant’, les parties, si intransigeantes, ne feront usage que de la force ou de la ruse pour jouir de certains bénéfices au détriment d’eux-mêmes et de la collectivité dans le temps.  Par contre, son adoption facilite le bien-être collectif dans le court terme pour paver le chemin de la maximisation des bénéfices individuels dans le moyen ou long terme. Comme la coopération est la constante de cette formule, la nature égoïste et rationnelle, une variable, est loin d’être la cause de l’échec d’une quête collective bien qu’elle semble en être le coupable naturel, c’est plutôt l’absence de coopération qui en est imputable.

David Hume explique que quand l’individu n’arrive pas à formuler son calcul pour intégrer la variable futur dans son calcul, il opte pour la jouissance immédiate (Hume : 1993,  pp. 150-151). En conséquence, il tend à choisir la formule du ‘Tout ou Rien’. Dans ce cas, il y préserve l’idée d’un cumul de réserve au cas où le futur ne lui est pas favorable. Avec sa rationalité limitée confirmant son incapacité de prédire le degré et la durée de sa jouissance d’un bénéfice sur la courbe du temps, il s’attelle à la jouissance immédiate dont il est sûr et aux différentes opportunités à sa portée d’assurer le cumul de réserve. Ce qui lui permet de se parer contre les incertitudes et les imprévisibles qu’il ne contrôle pas. Ce contexte transforme la collectivité en un foyer d’injustice et de corruption comme seule porte de réussite personnelle immédiate. Le faible degré de tolérance à la coopération par rapport à un haut degré d’incertitude chez l’homoeconomicus Ayitien favorise un tel comportement et le choix de la formule du Tout ou Rien,  ce qui est bien entendu un comportement égoïste et rationnel, mais préjudiciable à toute quête collective.  

Conclusion

Cette tentative d’explication serait correcte dans le cas d’un conflit conciliable sur le partage des composantes de la branche exécutive. Cela porterait à espérer une résolution de conflits ou sortie de crise fructueuse pour la gestion des affaires du pays si et seulement si les intérêts des deux branches évoluaient sur un même champ d’actions pour rendre possible une coopération, tel n’est pas le cas. A comprendre leur mission institutionnelle, le conflit sur le partage du pouvoir est inconciliable de par nature. Leurs champs d’actions n’étant pas les mêmes, à savoir légiférer sur les affaires collectives, et prendre des décisions sur quoi faire et comment mener la gestion de ces dites affaires, leurs intérêts de nature différente ne s’affrontent pas sur un même terrain.

Etant donné que la branche exécutive paraît avoir toutes les chances d’en être bénéficiaire, ses initiatives de gestion risquent d’être entravées, même après une sortie de crise. A ce stade, aucun des acteurs ne réussira sa mission institutionnelle parce qu’une éventuelle entente n’est pas sortie d’une coopération visant la cause collective, mais celle de chaque acteur individuellement. Autant que l’implication soit purement individuelle, le calcul permettant d’atteindre les gains individuels est nettement erroné s’il n’intègre pas la réussite de la mission institutionnelle comme variable de maximisation des bénéfices individuels.

Ouvrages consultés

1) Arrow, K. J. ([1963] trad. 1974)    Choix Collectif et Préférences individuelles. France : Calmann-Levy.
2) Hume, D. (éd. 1993),          La Morale : Traité de la Nature Humaine T. III. Paris : Flammarion.
3) Tullock, G. (1967) :   "The General Irrelevance of the General Impossibility Theorem" The Journal of Political Economy. Vol. LVI, Feb. 1948, No 1 pp. 256-270.



Jean POINCY

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