Introduction
Le déroulement des élections de 2010-2011 en Ayiti est inédit. Le conseil électoral décrié dès sa naissance est accusé de toute sorte de choses et désapprouvé par certains de ses propres membres. Les résultats du premier tour annonçant les deux finalistes pour le deuxième tour ont produit un tollé forçant les autorités à permuter l’un d’eux. Cette décision insolite a pu calmer la colère de certains électeurs lésés qui ont pu perturber les activités des uns et des autres pendant quelques jours. Face à face, sont un candidat issu du monde musical accusé d’immoralité, d’indécence ou de manque de pudeur, et une autre très adulée comme la crème de la crème du monde académique. Si l’espoir était porté sur cette dernière, la déception de beaucoup est qu’elle a traîné dans les sondages jusqu’au jour du 2ème tour pour finalement donner gain de cause à son rival. Teinté d’intolérance, d’intimidation, de violence et de peur, le marché électoral Ayitien comme lieu de transactions politiques révèle ses imperfections et affiche son échec dans le processus de composer un nouveau gouvernement. Les transactions politiques n’ont pas réellement mesuré la quête de bien-être individuel à l’aune du bien-être collectif.
Tenter d’expliquer un tel échec invite à assimiler le marché électoral à l’économie de marché classique pour deux raisons. D’une part, ils ont des caractéristiques similaires en termes d’interactions entre les acteurs qui s’engagent autour d’un programme politique comme produit à échanger avec des coûts de transaction non contrôlés. D’autre part, l’économie de marché classique a aussi rendu illusoire l’espoir d’un bien-être généralisé. Pour mieux comprendre le phénomène, ce texte :
I : fait état de la similarité des deux marchés ;
II : relate brièvement l’échec de l’économie de marché ;
III : évoque le problème de composition d’un nouveau gouvernement ;
IV : appelle à la rationalisation des firmes politiques sur le marché électoral ;
V : décrit le comportement de l’électorat sur le marché électoral ;
VI : attire l’attention sur les coûts de transaction politiques comme obstacles au bien-être recherché par le biais du marché électoral.
I : De la similarité du marché électoral et de l’économie de marché classique
Le processus électoral a suivi son cours jusqu’au bout, mais l’incertitude politique n’a jamais été dissipée. Ce n’est pas à cause d’une simple défaillance institutionnelle, mais aussi en raison de la nature compétitive du marché électoral où viennent se rencontrer périodiquement des agents politiques pour effectuer des échanges profitables à chacun d’eux. Ce sont tous des individus égoïstes et rationnels, anciens élus et nouveaux candidats, qui entrent en compétition à la recherche du vote de la majorité des électeurs pour briguer un même poste, et ceux-ci aussi égoïstes et rationnels qui, en compétition entre eux, vont choisir les candidats jugés plus aptes à satisfaire leurs intérêts.
Reflétant l’économie de marché où les agents économiques, les firmes/entreprises/producteurs de biens et de services, et les consommateurs entrent en concurrence pour entreprendre des transactions librement, le marché électoral s’approprie de ses caractéristiques fondamentales suivantes :
· L’atomicité qui entend une multitude d’agents politiques (candidats et électeurs) sur le marché électoral cherchant à maximiser leurs intérêts individuels.
· L’homogénéité des programmes politiques comme produits offerts et demandés.
· La libre entrée donnant un accès égal à tous au processus électoral, moyennant des principes régulateurs.
· La transparence qui apporte une visibilité aux actions des uns sans empêcher les autres dans leur quête du succès.
Concrètement, le marché électoral est animé par : la présence des firmes politiques (les partis) via la participation de nombreux candidats aux élections présidentielles et législatives, les promesses-programmes comme produits offerts aux électeurs, l’accès libre donnant lieu aux positions et actions politiques agrémentées du marketing électoral via les campagnes pour attirer les électeurs, et le vote de ceux-ci qui est un pouvoir d’achat déterminant quel programme à acquérir pour la première fois, renouveler ou substituer à un autre. Sans exclure certaines irrégularités, le volume vendu ou acheté indique l’élection ou le rejet d’un candidat. Côte à côte, seule la nature des transactions diffère les deux marchés.
II: De l’échec de l’économie de marché
Pendant plus d’un siècle avec les classiques et les néoclassiques, les principes qui guidaient les économies stipulent que le fonctionnement du marché doit être libre avec une intervention minimale de l’Etat comme régulateur. Il suffit d’une concurrence parfaite pour permettre au marché de s’autoréguler. L’assomption faite est que les agents économiques étant égoïstes et rationnels n’agiront d’aucune manière préjudiciable à leur endroit. En d’autres termes, ils tenteront toujours de maximiser leurs avantages via un système de prix qui ramène toujours le marché à l’équilibre. L’espoir que faisait naître la révolution industrielle à travers un tel système est soldé de déception parce que les bénéfices souhaités pour tous ne se sont jamais matérialisés.
De vives critiques ont remis en question ces principes, et bénéfices escomptés allant de leurs caractères universels, de l’équilibre social annoncé, du caractère omniscient de l’homoeconomicus, à l’absence des institutions qui ont rendu vulnérables les interactions des agents économiques. Il importe de retenir ici celles de l’économie institutionnelle. Si les pionniers de celle-ci qui reprochent l’absence des institutions dans l’économie de marché classique, et exigent en conséquence leur présence, la nouvelle économie institutionnelle accepte les principes fondamentaux de l’économie de marché tout en reconnaissant le rôle primordial que doivent jouer les institutions, mais elle attribue les failles plutôt au fait que l’économie de marché ait fait totalement abstraction des coûts de transaction en les déclarant nuls, et que par sa capacité de s’auto-ajuster elle puisse régler les méfaits des externalités négatives survenues au cours des interactions entre les agents économiques. Comme l’ancienne, la nouvelle économie institutionnelle questionne la rationalité des agents économiques qui érige l’homoeconomicus en tant qu’un calculateur illuminé dans les transactions.
Ne rejetant pas toutefois l’idée de l’individu rationnel, les nouveaux institutionnalistes avancent qu’il s’agit d’une rationalité limitée, parce que celui-ci n’est ni omniscient ni omniprésent et ne contrôle pas tous les paramètres. Donc, aussi rationnel que puisse être son calcul, il est sujet à l’erreur et ses actions peuvent porter préjudice à son projet de bien-être et à celui des autres contrairement à ce que laissait entendre l’économie de marché classique. Il revient alors d’intégrer les externalités négatives dans le calcul rationnel de l’individu, comme variable à traiter.
D’un autre côté, l’assomption du marché parfait capable de s’autoréguler sans casse est nettement rejetée, pour changer la perception de l’existence des firmes/entreprises sur le marché. Loin d’être une simple machine de production, elles sont perçues comme des méthodes alternatives de coordination de la production à l’instar du marché. Parallèlement, les coûts de transaction supposés nuls sont identifiés comme une des sources de l’échec du libre marché qu’il faut contrôler.
Dans la gestion de la production, outre les coûts directs relatifs à la production, ces coûts de transaction sont liés à la coordination de l’acquisition des intrants en terme de temps, des issues légales à aborder, des accords à passer entre les agents, et des externalités négatives. Vu que le marché en faisait abstraction, il revient aux firmes comme institutions de les contrôler à travers un système de marché libre et concurrentiel pour mieux permettre aux agents économiques de maximiser leurs avantages. En conséquence, il fallait rationnaliser le fonctionnement de ces institutions capables d’influencer grandement la performance économique d’une société. Il n’était plus question de tout laisser aux caprices du libre marché.
III : De la difficulté de composer un nouveau gouvernement en Ayiti
Vivre dans une collectivité où chaque individu jouit pleinement de son droit naturel d’existence sans contrainte est contraire à l’essence du vivre-ensemble qui facilite une réponse individuelle à la pulsion de survivre. Cette condition demande une organisation quelconque pour le partage harmonieux de l’espace et des ressources disponibles. Laisser le soin à un individu d’en disposer à sa guise enfante l’injustice par le risque d’en priver certains autres. Les lésés auront des réactions capables de compromettre la jouissance de chacun en mettant en péril la stabilité collective. Comme il s’agit des actions des uns et des autres reflétant l’intérêt individuel, il convient d’avoir un système de gestion impartial qui tient compte des intérêts de tous avec leur différence.
L’existence de l’Etat justifie un tel système dont les actions bonnes ou mauvaises résultent de comment il joue sur les différences. Le besoin de justice et d’équité rend cruciale sa composition dans la gestion des affaires de chacun et celle de la collectivité ! En effet, l’expérience humaine est marquée par différentes formes de composition qui répondent relativement bien aux exigences naturelles de survie des individus. Comment réussir une composition juste et équitable de l’Etat est le hic ! Si l’histoire a enregistré une diversité de formules allant du choix d’un gestionnaire-décideur selon sa descendance divine ou familiale, à une action totalitaire inhibant la participation collective, aujourd’hui la formule commande un processus démocratique pour que tout citoyen jouissant de son droit civique puisse se prononcer sur la composition du gouvernement qui doit guider l’Etat.
En effet, via des élections inclusives, certaines sociétés arrivent à mieux s’organiser et renouveler tant bien que mal sa machine étatique paisiblement. D’autres le réalisent péniblement avec des émeutes. Depuis la démocratisation du système de gestion des affaires d’Ayiti, chaque tentative d’élire démocratiquement une équipe débouche toujours sur des contentieux électoraux qui rendent difficile la composition d’un gouvernement. L’issue obligée laisse toujours dysfonctionnel un gouvernement investi.
Les élections de 2010-2011 qui font écho des précédentes ne remettent-elles pas en question la participation collective directe comme processus de composition d’un gouvernement en laissant supposer qu’elle dépasse l’évolution politique du pays ? Répondre affirmativement demanderait que les firmes politiques se mettent à la hauteur de leurs fonctions s’il faut garder le statu quo, sinon il serait juste de reformuler la participation collective pour qu’elle devienne indirecte.
IV : De la rationalisation des firmes politiques
Loin d’être une plaidoirie contre la tenue des élections démocratiques via une participation collective directe, ce texte pointe du doigt le rôle des firmes politiques (partis politiques) dans l’évolution politique du pays depuis son divorce d’avec la dictature. Naturellement, toute firme politique est une institution qui porte une vision de mieux être pour une collectivité qu’elle véhicule à travers l’électorat via ses membres et candidats. Sa finalité est de persuader la majorité à y croire au point de lui confier l’appareil gouvernemental pour la concrétiser. Non seulement qu’il est impératif d’éduquer les membres et candidats pour bien s’imprégner ou s’approprier d’une telle vision, mais aussi d’en informer continuellement l’électorat.
Une firme politique devrait être un centre vers lequel les membres de l’électorat se convergent pour communément et avantageusement se situer sur la scène politique. Les valeurs politiques à inculquer sont des guides de comportement électoral dans le processus menant à l’élection d’un candidat ou d’offrir un programme sur le marché électoral. La plus habile arrive à se tailler une base électorale loyale indifféremment de la philosophie prônée pourvu qu’elle s’harmonise avec les valeurs sociales que l’électorat épouse. Cela porte les potentiels agents-acheteurs, c’est-à-dire l’électorat, à nourrir un fort sentiment d’appartenance à la firme politique qui se traduit toujours par un vote sûr en faveur d’un candidat.
Le marché électoral ne peut être un lieu où la décision de voter se fait au hasard ou selon le jeu d’émotions des électeurs le jour du scrutin. Comme institution, une firme politique a la responsabilité d’accompagner l’électorat dans la rationalisation de son choix électoral. Etant aussi un système de gestion politique de l’électorat, les firmes facilitent la coexistence démocratique des tendances politiques et complètent la mission du marché électoral dans le processus conduisant à l’élection d’un candidat. Ne pas répondre à cette fonction naturelle et légitime laisse les transactions politiques évoluer au gré des émotions sur le marché électoral au risque de pervertir la quête de bien-être collectif.
Dans ces conditions, la participation d’une firme politique dans le processus électoral dépend largement de la popularité personnelle d’un candidat. Ayant échoué dans sa fonction, une telle firme n’a aucune base électorale, et est toujours en quête d’un candidat populaire apte à lui garantir une présence sur la scène politique. Cette dépendance de la firme vis-à-vis d’un candidat ne favorise pas la loyauté politique de celui-ci. Aussitôt élu, sa tendance est de se dissocier de la firme qui a porté sa candidature. C’est le dilemme de survie des firmes politiques qui, devenues de plus en plus faibles, n’ont aucune emprise sur un candidat.
En l’occurrence, la décision de certaines firmes politiques de ne pas participer aux dernières élections, n’a pas su retenir les candidats en lice qui par leur propre popularité arrivent à gagner les élections sans l’apport des firmes d’appartenance. Dans le cas où ils auraient décidé de suivre le mot d’ordre de celles-ci, ils seraient hors du champ d’actions politiques. Même les candidats les plus farouches au boycotte des élections ont renié leurs firmes pour ne pas rater l’opportunité. Beaucoup ont eu raison. Leurs résultats favorables permettent aux firmes de se renforcer sur l’échiquier politique pourvu que les gagnants acceptent de retourner au bercail. L’ironie est que les firmes s’évertuent à les rappeler. Une telle circonstance banalise et fragilise le processus démocratique en conséquence.
Depuis plus d’une génération après l’institutionnalisation de la démocratie, l’ancrage institutionnel des firmes politiques n’a jamais eu lieu. Elles ne sont jamais arrivées à élargir leur base dans l’électorat, ni fidéliser les membres autour d’une même philosophie, idéologie ou mission. Certes ! Elles existent, mais ne possèdent pas concrètement une part de l’électorat capable d’assurer leurs gains aux élections. Autant que l’appartenance institutionnelle aux firmes politiques n’existe pas, la constance politique est en dérive. Le candidat est disponible aux plus offrants. Tout cela se résume par une horde de firmes politiques émiettant l’électorat.
Ne répondant pas aux fonctions naturelles et légitimes décrites plus haut, les firmes politiques ayitiennes ne se sont pas édifiées comme institutions politiques pouvant guider ou contrôler le comportement de l’électorat, modeler son jugement au point de faire dissiper les incertitudes qui le hantent. Comme elles n’ont pas accompagné les électeurs non-avisés dans la compréhension des affaires collectives et ne s’étant pas impliquées dans le développement communautaire, elles sont vouées à l’échec. Ayant du mal à s’imposer sur le marché électoral, sa présence est nominale et dépend des prouesses naturelles d’un candidat.
Telle est l’interprétation rationnelle qu’il conviendrait de donner à l’accusation du président élu lors des campagnes électorales de faire partie du système politique qui n’a pas livré la marchandise. Ce serait erroné d’assimiler l’appartenance au système à une participation à un quelconque gouvernement post-dictatorial. Le fait est que la génération des firmes politiques succédant à la dictature et annonçant une nouvelle forme politique pour améliorer les conditions de vie de la collectivité ne s’est pas montrée à la hauteur de leurs missions institutionnelles.
V : Du comportement de l’électorat sur le marché électoral
Tous les candidats sont des vendeurs et les électeurs des acheteurs réunis sur le marché électoral pour respectivement vendre et acheter un programme. Le vote de l’électeur, c’est-à-dire son pouvoir d’achat, facilite les transactions dont la plus grande partie réalisée par un candidat consacre le gain des élections comme profit politique. La présence de deux ou plusieurs de ces deux types d’agents sur le marché électoral déclenche la concurrence signifiée du côté des candidats par la quête des électeurs. Du côté de ceux-ci, c’est la recherche d’un candidat qui offre un programme répondant à leurs valeurs.
Le prix du programme est unique. Chaque électeur a son vote comme pouvoir d’achat politique vis-à-vis de n’importe quel candidat. La cherté du programme caractérisée par des promesses est déterminée après la demande effective, c’est-à-dire après l’achat du programme, mais au moment exact de la consommation, soit la jouissance du bien-être recherché. Le coût du programme pour l’électeur est élevé quand le candidat n’arrive pas à livrer la marchandise. Le cas contraire indique un coût moins élevé. Tout cela est impossible à prévoir avant que la transaction soit effectuée même par un électeur avisé qui fait usage de son jugement et non de ses émotions. C’est une incertitude politique qui serait atténuée si une firme politique se donnait la peine de former l’électorat pour qu’il soit apte à évaluer techniquement les promesses d’un candidat. En d’autres termes, l’électorat devenu avisé exigerait des démonstrations techniques de la faisabilité des promesses.
Associé à la capacité de bien jauger l’offre d’un candidat, et avec son pouvoir d’achat, donc son vote, l’électorat a tous les atouts possibles pour exiger et obtenir d’un élu ce qu’il veut. Dans le cas des promesses non tenues, il conserve son pouvoir d’achat et peut ne pas renouveler sa commande auprès d’un candidat en le sanctionnant au profit d’un autre. Etant donné que voter en faveur d’un candidat donne lieu à un contrat d’une durée déterminée, il n’est point nécessaire de brusquer le mandat d’un candidat pour le terminer avant terme en cas d’insatisfaction, mais d’attendre les prochaines élections pour le destituer. Comprendre cet aspect porterait l’électorat à attendre le terme du mandat d’un élu qu’il a choisi librement.
Malheureusement, un tel pouvoir n’a jamais été utilisé à bon escient. L’électorat choisit toujours avec son cœur et non avec sa raison. C’est pourquoi, qu’il renouvelle souvent ses vœux auprès du même candidat qui n’a pas su honorer ses attentes. Par défaut, il suffit d’un listing de quelques points par lesquels l’électorat semble concerné. Ce qui ôte du processus toutes ses valeurs politiques annonçant une meilleure Ayiti. Donc, il est bien d’énumérer les promesses en lieu et place d’un programme politique bien charpenté. Les démonstrations techniques de leur faisabilité ne sont pas nécessaires. Considérant la résurgence de cette condition à chaque période électorale, il est correct d’attribuer ce manque à l’incapacité de l’électorat de comprendre les démonstrations techniques, à sa simplicité primitive d’associer les promesses aux basiques de survie, à une mauvaise utilisation du son vote, et au fait que les firmes politiques ont failli à leur mission.
Face à la faillite des firmes politiques, l’électorat toujours non-avisé et livré à lui seul se laisse emporter par tout courant qui se dit soucieux de sa primitivité, un état d’entendement qui rend complexe tout calcul devant intégrer les paramètres du passé, du futur et de l’autre. Egoïste et rationnel comme agent politique et acheteur de programme, sans exigence, il répond favorablement à la plus simple satisfaction immédiate d’un besoin, qu’elle soit durable ou pas. C’est ce qui explique son penchant passionné pour n’importe quel candidat qui manipule avec dextérité ses instincts. Dans le menu, ce sont toujours des promesses paternalistes ou providentielles sur le pain, l’éducation et la santé.
Si de telles provisions peuvent atténuer certaines douleurs, elles sont loin d’améliorer les conditions de vie de la collectivité. Ce sont des éléments basiques de bien-être que chaque membre de la collectivité peut lui-même s’assurer, pourvu que le pouvoir d’achat économique existe et qu’il y ait un accès équitable aux biens et services. Composer un nouveau gouvernement pour gérer les affaires collectives du pays sur de simples promesses et non sur la base de création de pouvoir d’achat économique et des conditions d’accès à l’entreprise privée amplifie les risques de transactions politiques que l’électorat ne peut jauger.
Le thème central des campagnes électorales devrait être économique, et suffire pour alimenter tous les débats électoraux. Si rien n’est à espérer des partis politiques en ce sens, et que les candidats ne sont que des manipulateurs d’émotions, l’université et les directeurs d’opinions auraient pu apporter respectivement une touche académique et corrective. Pourtant, l’université brille par son absence pendant que les directeurs d’opinions font fausse route en s’appropriant du format des débats. Par faute de guide, l’électorat est tourmenté par ses émotions sur le marché électoral, ne se fie qu’à ses instincts et se trouve à la merci des manipulations du processus électoral pour détourner son choix. Ces cas témoignent d’une issue incertaine ou injuste caractérisant l’échec du marché électoral comme résultante de la faillite des firmes politiques. Les transactions politiques sont donc corrompues au détriment de l’électorat qui croit bien faire.
VI : De la nature des coûts de transaction sur le marché électoral
Avec un électorat dont la majorité repose sur ses émotions, et un processus manipulé, les coûts de transaction politiques sont excessivement élevés et la collectivité en pâtit. Les stratégies de campagne électorale les plus payantes, le marketing servant à persuader les électeurs du choix d’un candidat avec des promesses fallacieuses ou pas, sont celles qui manient mieux les émotions pour gagner les élections. Le candidat le plus adroit à toucher l’âme des électeurs non-avisés devient plus compétitif et collecte la majorité des votes indifféremment de la qualité du contenu offert. Dans une telle collectivité, les campagnes ou débats sont totalement vidés de démonstrations techniques.
Ce sont des sources de coûts de transaction qui hypothèquent l’évolution socio-politique du pays en transformant le marché électoral en une jungle où les candidats sortent du vide pour n’offrir aucun programme acceptable. Les directeurs d’opinions qui croient maîtriser la technicité des outils de gestion des affaires collectives pataugent dans des sujets complexes sans pouvoir éclairer l’électorat en absence de la communauté académique ni obliger les candidats à cibler leurs approches. Finalement, l’électorat par sa simplicité d’esprit accepte n’importe quoi qui touche ses bas instincts pour récidiver ses erreurs de jugement et est prêt à tout casser si l’issue finale ne concorde pas avec ses désirs. Dans des cas extrêmes où la marchandise n’est pas livrée, l’électorat demande de manière non démocratique la destitution avant terme de celui qu’il a choisi sciemment, alors qu’il aurait pu attendre les nouvelles élections pour ne pas renouveler sa commande.
Les agents politiques font crépiter les ragots politiques au lieu d’aborder les problèmes dans leurs vraies dimensions. Il ne s’agit pas pour eux de faire valoir techniquement une vision de société et clairement présenter un programme politique accompagnateur, mais de rallier l’électorat en leur faveur avec peu. Plutôt, les candidats se lancent dans une diatribe pour essayer de comprendre, d’expliquer ou de condamner des manœuvres douteuses à leur endroit. Le temps pour montrer techniquement comment assurer une meilleure gestion des affaires du pays et persuader les électeurs à abonder dans leur sens n’y est jamais.
Même quand les agents-acheteurs manifestent leurs besoins sur le marché électoral, le produit de qualité fait toujours défaut. Du moins, les agents-vendeurs ne se sont jamais montrés capables d’en fournir un. Vu que le marché électoral est livré à lui seul et s’ajuste par une participation collective directe, les élections n’aboutissent jamais à une composition juste du gouvernement capable de sortir le pays du labyrinthe politique. La souveraineté individuelle est toujours menacée en conséquence. Mise en agonie, la démocratie entamée qui ne la garantit pas porte préjudice à l’harmonie collective. N’étant toujours pas au rendez-vous, le bien-être économique recherché via le processus démocratique crée un climat d’injustice sociale qui incite les lésés toutes catégories confondues à n’user que de la violence comme porte-parole.
Les mésaventures collectives répétitives traduisent les coûts de transaction politiques qui rendent quasi impossible le vivre-ensemble. L’insécurité bat son plein et réduit l’espérance de vie de chacun soit par le stress quotidien de compter ses minutes et secondes de survie ou par le fait d’en être victime. La méfiance mutuelle qui ne favorise pas les engagements fait obstruction à l’organisation économique en permettant à la misère de faire la conquête de la mosaïque sociale. Tant au niveau économique que psychique, il ne s’agit plus d’une couche toujours défavorisée, mais de tous.
Certes ! Les élections de 2010-2011 ont finalement abouti et la composition d’un nouveau gouvernement commence à prendre forme. Cependant, l’acceptation est sceptique considérant le faible taux de participation de l’électorat. C’est une réussite électorale surprenante, pour ne pas dire controversée, qui invite à réfléchir sur le comportement des agents politiques et la nécessité de rationaliser les firmes politiques afin de corriger les imperfections du marché électoral et réduire les coûts de transaction politiques. Ce faisant, celui-ci deviendra le lieu d’échange démocratique légitime et équitable comme il est dans une société moderne.
Conclusion
Quand les imperfections de l’économie de marché ont été identifiées et internalisées, pendant que le bien-être généralisé escompté n’était pas à la marque et les coûts de transaction incluant les externalités négatives déstabilisaient le vivre-ensemble, il était jugé nécessaire de reconsidérer le fait de laisser à l’économie de marché la charge de s’autoréguler et de rééquilibrer le rapport entre les agents économiques. Les effets pervers qui résultaient des transactions entre les différents agents économiques devraient être neutralisés. En conséquence, pour corriger les failles du marché, réduire les coûts de transaction et faciliter le partage des richesses, la rationalisation du fonctionnement des firmes de production s’avérait impérative.
A l’aube de la révolution industrielle, les sociétés industrialisées nourrissaient l’espoir d’un bien-être généralisé, à partir de l’économie de marché. Ayiti espérait autant avec l’adoption de la démocratie. Comme catalyseurs, l’économie de marché faisait rêver à un vivre-ensemble juste et équitable, et le marché électoral à un mieux-être via la participation collective directe qui offre à chacun l’opportunité d’influer sur le processus de composition d’un gouvernement. Toutefois, les deux cas sont marqués par la déception. Le partage de la richesse et le mieux-être restent encore un rêve. Etant donné que les caractéristiques des deux marchés sont de même nature, il est nécessaire de repenser l’approche faite du marché électoral comme il a été le cas pour l’économie de marché. Cela ne veut pas dire pourtant que la voie démocratique empruntée n’est pas la bonne.
En effet, si pour l’économie de marché les firmes étaient perçues comme une boîte noire de production, pour le marché électoral Ayitien, elles n’existent que pour la prise du pouvoir par tous les moyens sans répondre à leurs fonctions naturelles de contribuer à la réalisation du processus démocratique et du bien-être collectif en dehors du pouvoir. Toute correction à porter consiste à rationaliser leur fonctionnement pour accompagner le marché électoral comme un autre système de gestion de l’électorat indispensable à l’unicité du tout politique. Le marché électoral est le lieu où les agents politiques, membres/candidats des firmes, et une partie de l’électorat, viennent finaliser leurs transactions déjà, discutées, traitées ou évaluées au sein des firmes politiques.
L’essentiel du processus démocratique en terme de comportement des candidats et de l’électorat est la responsabilité des firmes politiques. Comme institutions politiques, celles-ci sont appelées à guider le comportement des acteurs rendant effective la finalisation des transactions sur le marché électoral. L’ignorer c’est laisser la charge au marché électoral qui n’est qu’un cadre d’exécution des procédures de composition d’un nouveau gouvernement par la voie démocratique. Si aujourd’hui l’économie de marché reconnue imparfaite est moins capable de causer des dommages à la collectivité c’est parce qu’elle est toujours en réévaluation. Comme les contextes d’aujourd’hui diffèrent de ceux d’hier, les approches doivent s’y accorder pour garder l’équilibre du vivre-ensemble. Depuis leur naissance, les firmes politiques n’ont pas changé tant au niveau de leur structure organique que de celui des tendances politiques vis-à-vis du pouvoir, de l’électorat, de ses membres/candidats, et de la collectivité dans son ensemble.
Telle est une complaisance politique qui fait du marché électoral le centre d’étalage et de résolution des différends politiques. N’étant qu’un simple outil de procédures, il craque à chaque fois qu’il faut réaliser les élections en devenant la proie des forces politiques pour favoriser un candidat ou un autre. Acceptant le marché électoral avec toutes ses tares naturelles qu’aucune loi ne peut corriger, il doit aussi subir de rigoureuses évaluations pour mieux identifier les niveaux d’intervention. Tout aussi bien, il faut cibler les firmes politiques pour porter les ajustements nécessaires, mieux accompagner le marché électoral, et réussir le processus démocratique sans casse. Après tout et jusqu’à date, c’est le seul point d’expression permettant à chaque individu d’avoir son mot à dire dans la composition d’un gouvernement.
Jean POINCY
caineve@yahoo.fr
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