Introduction
La dernière conférence sur comment ‘donner un toit à l’haïtien’ dénonce les
obstacles légaux et macroéconomiques qui empêchent à un citoyen de devenir
propriétaire, c’est-à-dire posséder un logement (Alphonse, Le Nouvelliste : 30
juin 2011). Si les difficultés soulignées lors par
Monsieur Carl Braun sont correctes, elles sont loin d’être les éléments
inhibitifs au rêve de chacun de devenir propriétaire d’une maison. Au cœur de la problématique est l’absence d’une vision de logement pour tous. Le projet Kay Pa’m
qui semble faire la joie de certains est loin d’en être une, considérant le
très faible salaire du petit personnel de la fonction publique qui est automatiquement
exclu. Cette noble initiative a besoin d’être accompagnée par une politique Etatique
de logement et une stratégie d’inclusion pour qu’elle devienne la vision de
logement pour tous. Si avec ou sans salaire, chacun aspire à posséder un
logement, il est un dilemme quand un très bas salaire exclut automatiquement un
individu comme s’il était sans salaire.
Aspirer à être propriétaire est un droit naturel
de tout individu, parce que celui-ci a droit à toute chose comme Thomas Hobbes
l’a fait entendre. Alors, comment a-t-il été décidé qu’une portion de terre
appartient à celui-ci et non à celui-là ? A en juger par John Locke, seule
l’application de son travail ou sa capacité de faire lui donne le droit exclusif
sur une portion de terre. En effet, cette unique propriété naturelle exercée
pour faire fructifier ce qui est fourni par la nature lui confère ce droit de
propriété. Si aujourd’hui certains ont déjà eu leur part et même davantage que
nécessaire, la majorité de la population Ayitienne en est absolument privée. En
dépit de tout, il est à constater une occupation cavalière des zones non
occupées, des propriétés privées apparemment abandonnées, des lieux publics,
surtout des trottoirs et des rues comme pour faire valoir ce droit naturel à
tout pour une juste récupération d’un acquis usurpé.
Devenu davantage préoccupant, cet état de privation
empiré par le récent séisme porte à réfléchir sur comment rééquilibrer la
balance. Dans la logique de reconstruction d’Ayiti qui s’ensuit et dans l’esprit
d’équité, il importe de rendre à chaque citoyen Ayitien ce droit naturel de
propriété tout en tenant compte du fait que ce n’est plus le temps de nature
auquel Hobbes et Locke faisaient allusion. Lors, n’existaient pas les lois et
institutions devant guider le comportement des individus qui réclament un droit
égal de jouissance sur tout en toute liberté, protéger ce droit, et harmoniser
les rapports entre eux. Toutefois, il s’agit encore de son travail comme
propriété unique qu’il est obligé de convertir aujourd’hui en revenu pour lui
faciliter l’acquisition de tout ce dont il a besoin. Ceci étant dit, un revenu
gagné en contrepartie d’un travail fourni fait office de ce droit naturel de
propriété, lequel prend forme dans le cadre d’un processus d’activités de production.
En conséquence, tout effort de rendre un Ayitien propriétaire devrait être une
résultante du plein emploi dans le pays. Ce n’est point la désuétude du cadre
légal et des outils macroéconomiques qui rend difficile le logement pour tous. Le texte suivant le démontre en :
1 : évoquant les pensés politiques de Thomas
Hobbes et de John Locke sur le droit de propriété ;
2 : faisant du pouvoir d’achat le levier de
matérialisation d’une vision de logement
pour tous ;
3 : indexant une faille systémique inhibant le
comment ‘donner un toit à l’haïtien’ ;
4 : assimilant la vision de logement pour tous à une perception
pratique d’assurer la sécurité collective, une idée déjà discutée dans les
colonnes de Le Nouvelliste.
1 : De l’origine du droit de propriété
Pour oser ressusciter Locke, une portion de terre
devient la propriété d’un individu par le biais de son travail exercé pour la faire
fructifier, la modifier, la changer ou la rendre agréable à vivre. Il ne serait
pas juste alors d’accorder ce droit de propriété à quelqu’un qui n’a pas exercé
son travail pour transformer la terre trouvée en friche. Ce serait tout aussi
injuste d’obliger un individu qui y a exercé son travail de partager les doux
fruits avec l’autre qui ne sait que faire de son travail. Dans le cas d’une
intrusion pour en profiter, celui-là est en droit de défendre le fruit de son
travail en se disant propriétaire d’une telle portion de terre. En absence d’une force ou de moyens coercitifs
neutres capables de prévenir toute ingérence, ledit propriétaire peut utiliser
tous les moyens en sa possession pour chasser l’intrus. Sinon et selon le
rapport de force entre les deux, il en résultera soit : une expulsion
forcée qui risque de fragiliser la stabilité ou l’harmonie, ou une forme de
coopération pour le partage de l’espace et faciliter la coexistence.
Cet ordre originel du droit de propriété n’y est
plus. En effet, il est quasi sûr de qui possède quoi, en vertu du travail
exercé sur un morceau de terre, ou du revenu gagné à partir de l’exercice de
son travail dans d’autres sphères d’activités. Aujourd’hui, tout est légitimé
par des moyens légaux coercitifs. Dans ce cas, parler de comment un individu
face à un autre se dit propriétaire légitime d’un morceau de terre c’est
faire état d’un outil institutionnel pouvant guider l’aspiration de chacun à
devenir propriétaire. Si l’ordre de l’ayant droit, qui par précédence ou par la
force sur le morceau de terre prévalait dans la naturalité du droit de propriété, cède la place à la légalité du
droit de propriété où seuls l’héritage et le revenu y donnent un accès légitime,
que faire dans une société où ces deux moyens font défaut à une catégorie de la
population qui aspire à la propriété ?
2 : Du pouvoir d’achat comme levier de matérialisation
du logement pour tous
En faisant abstraction du paramètre héritage, la
condition fondamentale du logement pour
tous doit nécessairement porter sur le revenu. Autant qu’une population ait
un revenu régulier, aucune vision de logement
pour tous ne peut prendre forme, voire penser qu’une réforme des outils
institutionnels puissent aider à concrétiser le rêve de chacun de devenir
propriétaire. Ceux-ci ne sont que des moyens permettant de faciliter à
quiconque éligible d’avoir accès à la propriété et d’harmoniser le
vivre-ensemble, en vue d’assurer la sécurité collective. Ce n’est pas parce que
les sans-abris soient multipliés en raison du séisme du 12 janvier 2010, qu’il
faut croire en une possibilité de logement pour ceux qui soient capables d’assumer
un prêt. Il faut une vision de logement inclusive qui donne accès à la
propriété selon le niveau de revenu de l’acquéreur pour qui les principes et procédures
seraient favorables sans léser l’investisseur immobilier intéressé à maximiser
ses profits.
Explicitement, la création ou l’augmentation du
pouvoir d’achat au profit du plus grand nombre représente le levier de
matérialisation d’une telle vision. La survie financière étant assurée, tout
acquéreur devient éligible à priori pour contracter des prêts au logement auprès
des bailleurs de fonds sur le marché financier. Somme toute, le pouvoir d’achat
au plus grand nombre combiné à la facilité d’accès pour tous ceux qui ont la
capacité d’en profiter constitue le catalyseur de réalisation de la vision de logement pour tous. Contrairement à la
proposition de Monsieur Braun d’utiliser le ‘surplus
de dépôts bancaires existant aujourd’hui pour le financement du logement’,
il serait plutôt judicieux d’en faire usage pour accompagner une politique
d’investissement productif qui a la propriété de créer davantage de créer ou
d’augmenter ce pouvoir d’achat. Selon la propension à la consommation de la
population et une politique monétaire, budgétaire ou fiscale appropriée, cette
création ou augmentation du pouvoir d’achat tendrait à alimenter l’épargne nationale
pour mieux alimenter les activités et transactions dans l’industrie
immobilière.
3 : D’une faille systémique inhibant le
comment ‘donner un toit à l’haïtien’
Parler de surplus de dépôts bancaires sur le marché
financier c’est indiquer une épargne nationale positive rendant disponibles des
fonds pour l’investissement. Par contre, il est à constater l’absence
d’investissements productifs devant profiter à l’économie en général tant en
termes d’emplois, de création de pouvoir d’achat, de consommation que de
recettes fiscales. Dans ce cas, il y a lieu d’accuser le système bancaire qui
ne joue pas son rôle légitime de facilitateur d’investissement, et l’Etat qui
n’a pas su élaborer une politique de production conjuguée à une politique
d’investissement. Cette faille systémique ne peut qu’engendrer une baisse d’emplois
et la réduction du pouvoir d’achat en conséquence. Un tel contexte ne favorise
aucunement le financement du logement. Non seulement que ces prêts au logement
subventionnés ou pas seraient discriminatoires, mais un grand risque y serait
attaché. Par faute d’investissements productifs les emplois ne seraient pas
garantis et le revenu de chacun devant permettre d’honorer les prêts au
logement serait volatilisé. Ce qui déboucherait sur une éventuelle perte de
propriété au profit de l’institution financière.
Tout cela pour réitérer que le fondamental au logement pour tous est d’assurer un
revenu régulier au plus grand nombre de citoyens qui, aspirant à devenir
propriétaire, pourront réaliser son rêve. Cela peut se faire avec de bons ou
mauvais outils institutionnels en attendant que ceux-ci soient peaufinés ou
mieux adaptés. Aussi juste que puisse être M Braun sur les tares du système
fiscal relatif au logement, les remèdes prescrits ne sont que des outils
institutionnels devant servir à concrétiser la vision de logement pour tous qui n’existe pas. Ils deviennent cruciaux quand le
principe de départ de logement pour tous
est admis puis internalisé comme un rêve légitime auquel tout citoyen peut s’accrocher.
Pourtant, sans nier leur importance dans le processus de matérialiser la vision,
l’idéal serait de les placer à leur juste position dans le processus. Il y a
d’abord le cadre réel de la vision, le désir de posséder une propriété, le
pouvoir d’achat pour rendre effectif ce désir, et enfin les outils
institutionnels régissant l’exécution des actions impératives à l’acquisition
d’une propriété. En reconnaissant la justesse du thème débattu dans la
conférence et du récent lancement du projet Kay Pa’m, il est opportun de
reprendre ici le texte où une vision de logement
pour tous a été esquissée (Poincy, Le Nouvelliste : 24 août 2010).
4 : L’esquisse d’une vision de logement pour tous
…Les politiciens-gestionnaires de la Société
Ayitienne doivent traiter la sécurité collective comme le socle de l'harmonie
permettant à chaque citoyen de réaliser son potentiel et son bien-être. Autant
qu'elle (sécurité collective) justifiait la création de l'Etat à l'aube du rassemblement
des individus ou groupes ayant des intérêts divergents, autant qu’elle continue
d'être le catalyseur de progrès dans toute société. Son absence met en échec
tout projet de société.
Dans cette perspective, si la fonction primordiale
de l'Etat est d'assurer la sécurité collective, les gestionnaires de certaines
sociétés se trompent souvent sur le levier à manipuler pour la garantir.
Souvent, jouer sur une force de police secondée par un appareil judiciaire rend
le système plutôt inhibitif que d'être un facilitateur de réalisation de
bien-être. En conséquence, les probables dérives individuelles obligent à
alourdir excessivement la force répressive pour désengager l'attention de
l'Etat, dévier les ressources des justes causes et plonger le collectif dans
l'arbitraire. Si le succès en résulte, il est passager.
Le propriétaire comme agent de sécurité collective
Le garant principal de sécurité collective est
l'accès à la propriété. Il convient de concevoir un système social devant
faciliter l'exercice du droit de propriété de chacun pour acquérir un habitat.
Quand bien même le système de police et judiciaire est indispensable, il ne
peut en être qu'un support pour rappeler chacun à l'ordre sur le droit de vie
et de propriété des uns et des autres. L'insécurité serait considérablement
réduite et se présenterait comme un cas isolé.
Spontanément, chaque individu deviendrait un agent
de sécurité collective. Etant propriétaire, il respecterait la propriété de
l'autre. De fait, celle de chacun serait protégée par le respect mutuel du bien
de l'un et de l'autre et de leur personne. L'intervention du système correctif,
de police et de justice, serait nécessaire seulement en cas de dérive ou
d'abus. Aussi, le sentiment d'être propriétaire commande à bien entretenir son
environnement pour valoriser sa propriété. Comme chacun veille sur lui-même et
le collectif, les actes de vandalisme sur les propriétés publiques et privées
seraient absolument moindres.
La faisabilité de l'équilibre social
Réaliser
un tel système dépend :
1) D'une garantie d'emploi quel qu'en soit le
niveau de salaire. Le pouvoir d'achat, si faible qu'il soit, peut être amélioré
par l'accès au crédit. Ce qui ne serait possible que par la création massive
d'emplois dans des activités à haute intensité de main-d'oeuvre.
2) De la capacité d'identifier et de
localiser chaque individu pour valider ou authentifier son existence, sa
présence et son droit de propriété sur le territoire.
3) De la crédibilité de chacun assurant
l'intégrité de son caractère dans ses relations/transactions avec les autres
pour inspirer confiance.
4) D'un réaménagement du territoire, via un
plan d'urbanisation, pour déterminer les zones de résidence, industrielles, de
marchés publics ou d'agriculture.
5) D'une synergie entre l'Etat, l'industrie
immobilière et le marché financier du pays.
6) D'une invitation faite par l'Etat aux
investisseurs immobiliers à s'approprier des lotissements pour la construction
des quartiers résidentiels où des maisons de différentes dimensions seront
construites en fonction des contraintes physiques du pays et d'une échelle de
revenus.
7) Des avantages offerts aux institutions
financières pour accorder des prêts immobiliers à tous ceux qui ont un revenu
et répondent à des critères établis par l'Etat et selon la discrétion de ces
institutions. Aussi l'Etat leur garantirait le droit de repossession d'une
maison en cas de non paiement chronique, sans la restitution du dépôt initial
ou de l'apport personnel lors de l'acquisition.
L'intégration sociale réalisée
Avec une chance égale pour tous d'évoluer dans un
tel système, tout Ayitien rêvant de devenir propriétaire pourvu qu'il ait un
revenu, qu'il soit identifiable, situable et crédible de surcroit, a une forte
chance de réaliser son bien-être. A défaut de quoi, il s'efforcerait de
s'accommoder pour intégrer la nouvelle société. Un tel contexte d'équité et de
justice sociale faciliterait l'intégration sociale recherchée. En conséquence,
celui qui a un faible pouvoir d'achat se contenterait de son acquisition indépendamment
de son niveau de revenu sans avoir à envier quiconque, menacer la jouissance
des plus aisés, ni déstabiliser la paix collective. Il se sentirait membre à
part entière de la nouvelle société indifféremment de sa catégorie sociale.
La soupape de sécurité collective
Etant propriétaire et capable de réclamer son
droit légitime et légal sur une parcelle du territoire, le citoyen
n'accepterait pas qu'un étranger ou un membre de sa famille vienne placer des
barricades enflammées en plein coeur de son quartier ni dans celui des autres
pour dévaloriser les résidences chèrement acquises. Cet état d'esprit partagé
par ces propriétaires serait cette soupape de sécurité collective. En cas de
revendication politique, lesdits propriétaires accepteraient de le faire
pacifiquement avec le moins de casses possibles dans la protection absolue de
leurs propriétés.
Il peut paraître rationnel de doter le pays de
toutes les forces policières du monde avec les techniques modernes de guérilla,
et de s'équiper des armes et d'outils de communication les plus sophistiqués
qui existent, la sécurité collective ne restera qu'un rêve si chaque citoyen ne
se sent pas propriétaire d'une parcelle du territoire ou ne voit pas dessiner
dans l'horizon sa chance de le devenir un jour. Si aujourd'hui, le citoyen se
transforme en casseur de propriétés, c'est parce qu'il n'est propriétaire de
rien lui-même.
Conclusion
Il faut admettre que la vision de logement pour
tous en Ayiti est un défi. Ce n’est pas en identifiant la nécessité de loger les
citoyens démunis ni en démontrant la capacité financière de le faire qu’il sera
levé. Ce n’est pas non plus une tentative de réponse au contexte actuel
demandant la mise en logis les sans-abris du séisme. Considérant que les moins
capables sont plus nombreux que les plus capables, la majorité de la
population, donc les moins capables, serait enclin à qualifier Kay Pa’m dune
autre affaire encore en faveur des plus capables. D’office, les moins capables
vont encore se sentir délaissés. Un tel contexte risque de fragiliser la
sécurité collective. D’où la nécessité d’amplifier Kay Pa’m pour atteindre cette
catégorie lésée. Etant inclusive et ramifiée à la sécurité collective la
faisabilité d’une telle vision est à la fois attrayante et complexe.
Attrayante, parce qu’elle ouvre l’horizon vers une
société de confiance où les citoyens scientifiquement identifiés peuvent
coopérer librement de manière spontanée dans la prise en charge de certaines
responsabilités collectives, ce qui allègera en conséquence la mission de
l’Etat. Complexe, parce qu’elle fait appel à une volonté de celui-ci d’accompagner
les citoyens dans leurs efforts de maintien de stabilité collective en
garantissant la survie de leurs initiatives, et conditionne toute réussite à la
création ou l’expansion du pouvoir d’achat de tout citoyen comme une exigence
première incontournable. L’ironie est que le pays est loin de pouvoir remplir
cette condition, pendant que les mesures de toujours pour y répondre ne sont
que du saupoudrage économique. Autant que les stratégies économiques prometteuses
sont constamment écartées, autant qu’il sera difficile à l’Ayitien de s’assurer
un revenu régulier pouvant rendre effectif son droit naturel à la propriété et lui
faciliter l’accès à tout ce dont il a besoin.
Documents
consultés
1)
Alphonse,
Roberson (2011): Les clés de l'immobilier. Le Nouvelliste du 30 juin.
2)
Hobbes, Thomas ([1642] 1982):
Le Citoyen ou les Fondements de la
Politique. (trad. fr. de Samuel Sobière). Paris: Flammarion.
3)
“ ‘‘ ([1651] 1999): Léviathan. (trad. fr. de François Tricaud). Paris: Dalloz.
4)
Locke, John. (1992), Traité
du Gouvernement Civil. (trad. fr. de David Mazel). Paris: Flammarion.
5)
Poincy, Jean (2010): Des idées pour la refonte d’Ayiti: comment
garantir la sécurité collective. Le
Nouvelliste du 24 août.
Jean POINCY
caineve@yahoo.fr
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