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FÒK SA CHANJE

mercredi 19 octobre 2016

Correspondances relatant la tension entre Christophe et Pétion après l'Assassinat de Dessalines


Pour l'histoire objective

Document retrouvé à la Bibliothèque Nationale de France aujourd'hui Bibliothèque François Mitterand.

Ayant requis ce document relatant la tension entre Christophe et Pétion après l'assassinat de Dessalines, j'ai été dirigé dans un espace isolé pour consultation. Pour prendre notes, je n'y avais droit qu'à l'usage d'un crayon et de quelques feuilles de papier. Rien d'autre n'y était permis.

J'ai pris soin de tout retranscrire au crayon afin de les numériser. Pardonnez toute imperfection.

Bonne lecture!

PETION, Alexandre: Réponse au Général Henry Christophe. Port-au-Prince 1807. Chez Fourcand (imprimeur du Gouvernement)

REPONSE
DU GENERAL  PETION
AU GENERAL HENRY CHRISTOPHE,

Sur les Calomnies insérées contre lui, dans ses proclamations des 18 et 24 Décembre 1806

Je dois à mes concitoyens, à moi-même, aux sentiments d’honneur qui me caractérisent de faire connaître publiquement quelle a été ma conduite dans tous les temps, et plus particulièrement depuis la destruction de Dessalines, ainsi de celle du général Christophe, qui vient d’allumer au milieu de nous le flambeau de la guerre civile, afin de détruire la liberté que nous avons acquise enfin après d’aussi longs orages.

Le despotisme du dernier tyran, ses actions de plus en plus barbares, tenaient éveillés tous ceux qui avaient à redouter les effets; le général Christophe fut un des premiers à instruire les généraux de l’armée des dangers qui les menaçaient, et à les engager à prendre des mesures pour anéantir ce nouveau Néron. La providence a secondé nos efforts et l’a conduit dans nos mains.

Quel usage avons nous fait de notre victoire? L’armée a-t-elle dépassé le pont rouge, quand elle pouvait arriver au Cap sans obstacle? Destructeurs de tyran, nous avons méprisé ses dépouilles, et nous avons soupiré qu’après un gouvernement plus juste et plus modéré, à la tête duquel fût placé celui qui par son grade se trouvait le premier général de l’armée, et dont les sentiments alors nous paraissaient purs.

Le général Gérin et moi nous empressâmes de lui écrire le peuple l’appelait pour consolider son bonheur, et faire exécuter des lois qu’il se proposait de se donner par la voie de ses représentants de toutes les communes. Les réponses du Général Christophe sont connues et imprimées, leur modestie est bien loin de l’entreprise coupable et hardie qu’il vient de former, et dont le but en trompant son armée par de perfides insinuations, était de se revêtir de l’autorité suprême.

Des députés furent nommés dans toutes les paroisses; et Port-au-Prince était le point central de l’Isle, fut indiqué pour leur réunion: ceux du Cap s’y rendirent les premiers, ceux du Sud tardèrent à la vérité, parce que le général Gérin avait retenu l’armée en activité pour rétablir l’ordre qui avait été troublé sur quelques de son département: des difficultés de formes dans les assemblée primaires, furent aussi la cause de ce retard.

Pouvait-on commencer un ouvrage aussi intéressant sans le concours de tous les députés? Quel ombrage pouvait en avoir le général Christophe, si ses idées comme les nôtres tendaient à voir donner au peuple une Constitution la plus libre possible? Mais il était bien éloigné de ces sentiments, puisqu’il envoya auprès de nous un officier de confiance pour me faire part de l’autorité qu’il voulait s’attribuer par la Constitution, laquelle ne nous aurait laissé que le choix de changer de fers, car elle a été égale à celle de Dessalines. Ma réponse positive ne dut pas le satisfaire et je déclarai à son envoyé, que s’il se présentait un homme assez audacieux pour aborder une pareille question, je monterais à la tribune pour le combattre; que le peuple voulait la liberté, et que je le seconderais de tous mes efforts.

Jusqu’à cette époque le général avait feint de me demander mes conseils pour le diriger dans les circonstances difficiles, il était disposé à faire les plus grands sacrifices pour la tranquillité publique; son désintéressement (disait-il) pour toute espèce d’autorité m’était connue; il s’en reposait enfin sur moi pour la sûreté du département et de l’armée: n’ai-je pas justifié ces principes en maintenant l’ordre et la discipline? Si j’ai opéré le changement de certains officiers c’était pour éloigner des hommes dangereux dont les projets visaient à la désunion, et avaient perdu la confiance du soldat à notre prise d’armes; j’ai laissé agir les lois pour la punition de quelques autres qui s’étaient rendus coupables; j’ai tout sacrifié en un mot pour conserver la paix et l’harmonie parmi nous; et l’indulgence plus que la sévérité m’a toujours guidé.

J’ai accueilli il est vrai plusieurs victimes de la férocité de Dessalines, que la barbarie de ses satellites voulait sacrifier; j’ai toléré la rentrée au Port-au-Prince d’un bataillon de la 20e. demi-brigade, que le général  de brigade Daut a forcé par ses mauvais procédés de quitter le Mirebalais; j’ai retardé par mes représentations, l’exécution d’une mission confiée au général Dartiguenave qui aurait infailliblement mis le désordre dans le département du Sud; mais je n’ai jamais formé de corps de troupes comme l’avance le général Christophe, à moins qu’il ne me fasse un crime d’avoir pris quelques guides dans le 2e. escadron pour marcher avec moi, et d’avoir donner mes soins à l’artillerie dont le service jusqu’alors avait été négligé. Ce sont cependant les prétextes dont le général Christophe s’est servi pour nous plonger dans la guerre civile la plus déplorable, et qui ont dicté les lettres qu’il m’a écrites, que l’on trouvera relatées ci-après avec mes réponses.

C’est au moment où la Constitution allait passer à l’unanimité, qu’il lançait sa proclamation du 24 décembre qui me qualifie d’ambitieux et d’intrigant, et qu’il se mettait sourdement en marche à la tête de douze mille hommes, trompés par les mensonges les plus artificieux, pour fondre sur la ville de Port-au-Prince avec la rapidité du vautour, et livrer son territoire au pillage et à l’incendie.

C’est pour mieux s’assurer du succès de cet horrible attentat, qu’il a retiré des carrières de la Ferrière les Savary, etc. etc. etc., dont les noms trop fameux pour leurs crimes, lui feraient goûter les plaisirs avant-coureurs de sa vengeance; tandis que livré à un sommeil paisible, au milieu des représentants du peuple, sans autres troupes que ma garnison, je me préparais à célébrer le 1 de Janvier l’anniversaire de l’indépendance.

Jour affreux, dont toute l’horreur ne s’effacera jamais de la mémoire de nos neveux, qui a vu des amis, des frères, des citoyens du même pays se plonger avec fureur le poignard dans le sein! jour rempli de carnage et de confusion, pour servir aux projets d’un seul homme, et l’aider à monter les marches du trône de Dessalines! Le général Christophe ne s’attendait pas à ce que peut inspirer de grand et d’héroïque la volonté libre.

Il fallait pour décider le soldat à répandre le sang des frères, lui dire que j’étais un ambitieux et intrigant, que j’avais servi tous les partis. Je n’ai jamais servi que celui qui pouvait assurer la liberté à mes concitoyens. Dans la guerre civile du Sud, j’ai repoussé les armes par les armes; si je me suis embarqué, j’y ai été forcé par l’armée dont le général Christophe faisait partie. De retour à St-Domingue avec l’expédition des français, aussi tôt que j’en ai pénétré le but, j’ai sorti du Cap; et, en entraînant avec moi le général Christophe, je puis me considérer comme le conservateur de ses jours. Quels sont les crimes que j’ai commis dans ma carrière militaire? Où sont mes victimes? Quel est celui qui peut me dire, Pétion a injustement sévi contre moi? Qu’il parle, je suis prêt à l’entendre.

Et vous général Christophe, sondez votre coeur! Rappelez-vous la manière dont vous avez fait la guerre du Sud! entendez les gémissements de ces innombrables victimes que vous avez entassées vivantes les unes sur les autres, et dont vous avez comblé le puits de l’habitation Ogé à Jacmel; entendez l’ombre du général Toussaint Louverture qui vous dit: Christophe, toi que j’ai comblé de biens et d’honneurs, complice comme artisans de mes crimes, pourquoi m’as-tu abandonné à la Marmelade? Pourquoi as-tu livré au Français les débris de mes troupes et de mes munitions ? et en me forçant de capituler avec eux as-tu creusé mon tombeau? Entendez-vous vos compagnons d’armes militaires de tous grades qui s’attachent à vous comme le vers rongeur, et qui vous disent: Christophe nous étions sous vos ordres, nous les avons suivis et vous nous avez dénoncés aux Français,  vous nous avez fait pendre. Qu’avez-vous fait d’Hamcy qui s’était rendu de France auprès de vous? De Barada, le plus zélé de vos serviteurs? Entendez-vous les cris de Jasmin, de Sansouci, etc. etc. etc., qui ont fait la guerre aux Français dans les bois et que vous avez fait impitoyablement fusiller dans la crainte de rivalité de commandement? Sous le règne de Dessalines combien de malheureux n’avez-vous pas fait? Si vous n’avez pas été directement l’auteur de la mort du général Capois qui venait de combattre les Espagnols à la frontière, au moins vous en avez été l’instrument; et certes vous pouviez le sauver. Je passe sur une infinité d’autres traits qui n’en sont pas moins gravés dans tous les coeurs.

Cependant le peuple toujours confiant et généreux vous a assigné la première place de la République, et vous avez indiqué les traces à suivre de l’immortel Washington; il ne s’est réservé pour sa garantie, qu’un Sénat composé de généraux dont la plupart vous environnent, et de citoyens recommandables par leurs vertus; il vous a laissé tout le pouvoir susceptible de rendre le peuple d’Hayti le plus fortuné de l’Univers: en limitant le temps de votre puissance, il vous à encourager à mériter de la perpétuer; et votre ambition n’est pas satisfaite! vous ne connaissez que le despotisme et la terreur; vous n’avez pas craint de toucher l’arche auquel nous étions si étroitement liés: encore une bataille et la république est démembrée, le chemin est frayé pour les Français. Croyez-vous être inexpugnable dans le département du Nord? 

Réfléchissez sur les malheurs qu’entraîne la guerre civile; jetez un coup d’oeil d’attendrissement sur ces malheureux qui couvrent la route de Port-au-Prince à Saint-Marc, qui sont étendus au pied des forts St-Joseph, National, et dans la savane du gouvernement; écoutez les cris et les lamentations de cette foule incalculable de blessés de votre armée qui vous demandent pourquoi vous les avez sacrifiés, quand ils pouvaient périr glorieusement pour la défense de leur patrie; pourquoi vous les avez laissés détruire et mutiler par leurs frères, qui pleurent et qui gémissent sur la cruelle nécessité où ils ont été de les repousser? Ne couvrez pas cette terre de deuil et de désolations! prenez des sentiments plus conformes au pays qui vous a reçu dans son sein; laissez approcher de votre coeur quelques rayons d’humanité! écartez d’auprès de vous ces esprits de furie, de sang et de carnage, ces êtres immoraux qui n’ont d’existence que dans le désordre. La patrie est en danger, elle touche aux bords du précipice, empêchez-là de s’y engloutir, car sa chute entraînera la vôtre.

Laissez respirer en paix les enfants d’un même père, tous sont égaux aux yeux du créateur: les nuances de la peau disparaissent devant l’immensité de sa puissance; il ne vous a pas crée pour être le fléau de l’humanité, et l’exécuteur des vengeances de l’enfer.

Que ne puis-je faire retentir ma voix, comme la trompette du jugement, jusqu’aux antres profonds de nos rochers, pour y porter les paroles de paix et de consolation: c’est là mon ambition, la manière dont je voudrais intriguer, et non pas voir ruisseler à grands flots le sang de nos frères déjà trop infortunés.

Au Port-au-Prince, le 17 Janvier 1807

PETION


Lettre de Christophe à Pétion

Au quartier général de Millot, le 30 Novembre 1806, an 3ème de l’indépendance

Henry CHRISTOPHE, Général en Chef de l’armée d’Hayti,

A S. E. Le Général de division PETION.

Par le retour de mon aide-de-camp, général, j’ai reçu votre lettre dont il était porteur; je suis fâché par rapport à des excès auxquels sa troupe s’est portée, mais j’espère que vous arrangez tout pour le mieux, et vous vous occupez sans relâche du bon ordre et de la tranquillité.

Le général Dartiguenave est porteur de mes ordres, il est chargé de vous les communiquer; je vous invite à l’assister de vos bons conseils.

Aussitôt que vous pourrez vous rendre auprès de moi, sans compromettre la sûreté de la division confiée à votre commandement, je vous engage à le faire, désirant beaucoup vous voir et m’entretenir avec vous de vive voix; j’ai beaucoup de choses à vous communiquer que je ne veux pas confier au papier.

                        J’ai l’honneur de vous saluer avec considération
                                                                        HENRY CHRISTOPHE



Réponse de Christophe

Au quartier général du fort Henry, le 19 Décembre 1806 an 3ème de l’indépendance

Henry CHRISTOPHE, Général en Chef de l’armée d’Hayti

A S. E. Le Général de division PETION,
Commandant à 2me. division de l’Ouest

Je viens, général, de recevoir vos deux lettes du 9 et 10 du présent, celle du 9 sans signature.

La première m’apprend que le 3e bataillon de la 20e. demi-brigade, en garnison au Mirebalais, a quitté sans ordre son poste pour se rendre au Port-au-Prince, où vous l’avez fait caserner dans la crainte qu’il ne se fût répandu dans les bois si vous l’eussiez renvoyé à son poste.

Il est étonnant, Monsieur le général, que connaissant la conséquence de la démarche de ce bataillon, vous ne lui ayez pas prescrit sur le champ de retourner à son poste, au risque de le voir se répandre dans les bois; vous n’ignorez pas que l’exemple qu’il vient de donner, ne peut que produire les plus funestes effets, et l’on aurait trouvé bien promptement le moyen de le faire sortir du bois où il serait réfugié. Je ne puis donc que m’étonner que ce bataillon soit jusqu’à ce moment au Port-au-Prince dans vos casernes.

Votre seconde lettre relativement à l’adresse du général Dartiguenave, que j’ai envoyé dans le Sud m’étonne aussi; je ne pouvais m’attendre, Monsieur le général, qu’un officier envoyé par le gouvernement, pût éprouver aucune difficulté à remplir la mission qui luit était confiée, ni faire perdre au gouvernement la confiance du peuple; faire renaître la défiance, détruire l’harmonie, et retarder les progrès du bien. Je désirerais savoir et c’est ce dont vous ne m’avez pas instruit, comment la mission du général Dartiguenave peut paraître au général Gérin, un dessein formé d’avilir son autorité aux yeux de ces hommes qui se sont volontairement rangés sous son commandement.

Le général Gérin en se mettant le premier à la tête de ceux qui ont contribué au renversement du gouvernement précédant, pouvait-il prétendre à la propriété des divisions du Sud? Espérait-il que ce serait le prix de ses services?

Le général Gérin, d’après ce qu’il m’a écrit, est bien loin de penser comme vous me le donner à entendre; il se plaint à moi des intrigues qu’ont employés les factieux pour troubler l’ordre, des peines qu’il a eu pour réprimer l’ambition des places et la cupidité dans les deux divisions du Sud. Et plut à Dieu qu’il put y parvenir. Je désire de tout mon coeur qu’il déjoue ces gens à partis qui poursuivent les grades et la fortune, et contre lesquels ce général est obligé d’employer des voies de rigueurs pour les réprimer.

Je ne puis m’empêcher de vous avouer que je découvre de plus en plus, Monsieur le général, le fil de toutes les trames, de toutes  les menées qui ont lieu dans l’Ouest et le Sud. Je n’ai jamais su tergiverser, j’aime qu’on me parle ouvertement, et qu’on s’explique catégoriquement si vous n’avez pas toujours réfléchi en m’écrivant vos lettres, je n’ai jamais manqué de le faire en les recevant.

Les esprits sont dites-vous tendus vers la Constitution, je l’attends aussi avec la plus grande impatience, j’espère qu’elle ne sera pas uniquement consacrée à favoriser les intriguants, et à leur donner les moyens d’alimenter leurs passions; le bonheur de nos concitoyens sera toujours le but de toutes mes mesures, et ma gloire la plus chère; mais je ne ferai jamais consister cette gloire à favoriser les factieux et à contribuer à leurs desseins.

J’ai l’honneur de vous saluer
HENRY CHRISTOPHE


Réponse de Pétion à Christophe

Port-au-Prince, le 20 décembre 1806

Le Général de division Pétion, Commandant la 2ème division de l’Ouest, et membre de l’Assemblée Constituante.

Au Général en Chef HENRY CHRISTOPHE, Chef provisoire du Gouvernement.

J’ai reçu, mon général, la lettre que vous m’avez écrite, et que le général Dartiguenave était chargé de me remettre; ce général m’a fait part de la mission dont vous l’avez chargé pour le Sud, et m’a communiqué d’après vos ordres, les instructions dont il est porteur. Comme par votre lettre vous m’invitez à l’aider de mes conseils relativement à cette mission, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de lui faire connaître tout le mauvais effet que produirait dans ce moment sa présence dans cette partie; lui-même en est convenu et s’est décidé à vous faire part de nos réflexions, et d’attendre ici vos ordres.

D’après la confiance que vous me témoignez, je dois mon général vous dire la vérité, et je suis trop ami de mon pays pour ne pas vous éclairer sur une démarche qui pourrait en troubler le repos. Le général Gérin est le premier qui s’est mis à la tête de la révolution qui nous a délivré de la tyrannie; il n’a pas balancé à faire le sacrifice de sa famille, exposée à la férocité de Dessalines, pour défendre la cause du peuple: ce général depuis le commencement n’a cessé de combattre pour la liberté dont on pourrait dire qu’il est le martyr; dans ce moment même il se donne tous les mouvements possibles pour maintenir l’ordre et la tranquillité. En voyant arriver le général chargé d’une mission particulière et revêtu du pouvoir de conférer des commandements, il regardera nécessairement cette démarche comme une marque certaine du peu de confiance que vous avez en lui, et comme un dessein formé d’avilir son autorité aux yeux de ses hommes qui se sont volontairement rangés sous son commandement. Les officiers qui ont concouru avec ce général au renversement du tyran, croiraient voir un désaveu de leur conduite, et la crainte des suites pourraient les réduire au désespoir; il est de mon devoir de ne pas vous laisser ignorer que l’effervescence n’est pas encore tout-à-fait apaisée dans cette partie; tous les esprits sont tendus vers la Constitution; c’est le baume qui seul peut guérir toutes les plaies que l’inquiétude fait naître: n’est-il pas prudent, mon général, que nous attendions ce moment si désiré? Je vous pris de réfléchir vous-même sur les conséquences qui pourraient en dériver: si une démarche, quoiqu’innocente, était susceptible d’interprétation, le moindre des résultats serait de faire perdre au gouvernement la confiance du peuple; alors l’harmonie serait détruite, la défiance renaîtrait et le progrès du bien serait retardé dans sa marche. Pesez dans votre sagesse, mon général, toutes les raisons que je viens de vous déduire, et je suis persuadé que vous les approuverez; votre propre gloire exige impérieusement que vous fassiez le bonheur de vos concitoyens, et vous manqueriez ce but qui doit vous immortaliser.

J’ai l’honneur de vous saluer respectueusement.
PETION


Réponse de Pétion à Christophe

Port-au-Prince, le 24 décembre 1806


Le Général de division PETION, Commandant la 2e. division de l’ouest, et membre de l’Assemblée Constituante,

Au Général en Chef  HENRY CHRISTOPHE,

Chef provisoire du Gouvernement

J’ai reçu, général, votre lettre du 19 courant, à laquelle je vais répondre.

A l’égard de ce que vous me dites relativement au 3e. bataillon de la 20e. demi-brigade, j’avais senti aussi toute la conséquence de sa démarche, mais je n’ai pas pensé que dans les circonstances où nous sommes, la sévérité fût le seul remède auquel il fallût recourir; et je suis loin de croire qu’elle aurait été produit l’effet que vous présumiez. Dans le passage d’un gouvernement à un autre, si l’on peut s’opposer à ce que les lois soient entièrement suspendues, il est difficile d’empêcher qu’elles ne perdent une partie de leur force et de leur énergie.

Quant à la mission du général Dartiguenave dans le Sud, je n’ai fait que conformer à votre lettre dont il était porteur et par laquelle vous m’invitez à l’aider de mes conseils, et si je me suis permis de vous faire quelques observations,  ce n’est que parce que vous m’avez autorisé à cela par plusieurs de vos lettres, entr’autre celle du 23 Octobre où vous vous expliquez ainsi: “personne mieux que vous, mon cher camarade, ne connaît mes principes et mon désintéressement pour toute espèce d’emploi; il m’a fallu un aussi puissant motif pour me déterminer à accepter ce fardeau énorme, avec la persuasion que j’ai que vous concourrez en votre particulier, à m’aider de vos lumières lorsque le bien l’exigera”.

Connaissant les principes du général Gérin, je suis persuadé général, qu’il ne regarde pas plus des deux divisions du Sud comme sa propriété, que je ne regarde celle de l’Ouest comme la mienne: je pense même qu’aucun autre fonctionnaire ne peut avoir une semblable idée. Le prix des services du général Gérin comme le prix des miens, est la gloire d’avoir reconquis la liberté de notre pays: si nous avions l’ambition, après la journée du 17 octobre nous étions les maîtres d’y donner un libre cours, tandis que notre démarche au contraire a prouvé qu’elle était désintéressement.  Le grade de général de division que j’occupe en ce moment, suffit à mon ambition, et je serai toujours prêt à m’en démettre, lorsque le bien public l’exigera. J’ai prouvé plus d’une fois que je n’ai jamais connu ni l’intrigue ni l’ambition, ni la voix publique ne laisse aucun doute à cet égard, c’est pourquoi j’eusse désiré que vous m’eussiez fait connaître quels sont ceux qui tiennent le fil des trames que vous dites qui s’ourdissent dans l’Ouest et dans le Sud, car j’aime aussi que l’on me parle ouvertement et que l’on s’explique catégoriquement; alors je pourrais y répondre.

L’accusation que vous me faites de ne pas réfléchir sur les lettres que je vous écris, m’a fait beaucoup réfléchir sur la vôtre et sur votre dernière proclamation, et j’y ai vu un acte peu propre à ramener les esprits vers un même but; je crois devoir vous dire que j’ai l’habitude aussi de réfléchir sur mes actions; et dans toutes, je prends pour guide l’opinion publique et l’intérêt de mon pays.

Enfin, citoyen général, la Constitution va paraître, et je suis comme vous d’avis qu’elle ne sera point consacrée à favoriser les intrigants ni à leur donner les moyens d’alimenter leurs passions: le peuple en abattant le Tyran à la journée à jamais mémorable du 17 Octobre, n’a pas fait la guerre pour tuer un homme, mais bien pour détruire la tyrannie et pour changer la forme de gouvernement qui ne pouvait lui convenir en rien, et établir sa souveraineté; c’est au moment que cet acte de sa volonté suprême devra recevoir son exécution qu’on connaîtra les ambitieux et les intrigants; pour moi je suis prêt, à déposer à ses les pouvoirs que je reconnais ne tenir que de lui, et à soumettre ma volonté particulière à la volonté générale: c’est alors que le peuple distinguera ses vrais amis d’avec les ambitieux: malheur à ces derniers!.....S’il n’a pas craint d’abattre la tête de Dessalines, pourra-t-il trembler des intrigants et des ambitieux subalternes?

J’ai l’honneur de vous saluer.
PETION

Au Port-au-Prince, chez Fourcand, imprimeur du Gouvernement.


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