Considérant que deux Premiers ministres, Jacques Edouard Alexis et Jacques Guy Lafontant, ont été démis de leur fonction suite au soulèvement de la population, attirer l'attention sur les raisons communes de ces événements s'avère nécessaire pour éclairer la lanterne du nouveau gouvernement sur de nouvelles pistes afin de rediriger l'économie du pays. Ce texte de 2008 est remis en ligne...Bonne lecture!
Les
dernières émeutes qu’a vécu le pays font état de la nécessité de penser à sa
réorganisation économique en vue de garantir un pouvoir d’achat stable à la
population. Cette position déconseille
toute stratégie économique visant la production vivrière, mais encourage une
politique agressive de substitution à l’importation des produits manufacturés à
partir de l’exploitation du secteur primaire.
Toute politique d’assistance alimentaire soit par une élimination totale
des taxes sur les produits alimentaires ou par une subvention ciblant des
couches avec un revenu zéro ou extrêmement faible est acceptable comme sortie
de crise, mais sur une durée ne dépassant pas une année. C’est le temps qu’il faut pour poser les
premières pierres des activités de transformation à haute intensité de
main-d’œuvre et avec une forte capacité d’effets d’entraînement en amont et en
aval. Ce faisant, la création d’un
nombre d’emplois en un temps record sera considérable selon les secteurs
d’activités de transformation choisis comme moteur de croissance et de
développement économique. Dans cette
perspective, ce texte :
I.
Montre la nécessité économique de
vivre en collectivité ;
II.
Identifie les conséquences des
incertitudes dans la vie collective ;
III.
Tente de comprendre les démarches
de réparation de la gouvernance Ayitienne suite aux récentes émeutes ;
IV.
Propose la substitution à
l’importation comme stratégie de production nationale ;
V.
Fait la plaidoirie d’un pouvoir
d’achat garanti ;
VI.
Suggère des activités porteuses.
I : La nécessité économique de vivre en
collectivité
En
supposant que vivre c’est répondre aux besoins primaires comme se nourrir, se
vêtir et se loger, bien vivre c’est pouvoir faire plus que ça. Néanmoins, un individu à lui seul ne peut
tout faire en raison de l’œuvre de la nature de doter à chacun et à chaque
endroit sa propre capacité de faire ceci et non cela. Robinson Crusoe seul sur l’île où il était
maître et seigneur pendant une vingtaine d’années ne pouvait se pourvoir de
tout ce dont il avait besoin. En dépit
de son abondance vivrière, il vivait misérablement à cause de sa capacité
artisanale limitée de transformer les produits de la nature pour mieux se les approprier. Toutes les pièces d’or (l’argent) qu’il a
récupérées de l’épave lors de son naufrage ne valaient rien.
Privé
des choses matérielles et nécessaires à la vie, il se sentait pauvre même quand
il répondait à sa faim. Malgré riche en
nourriture et en argent, son rêve était de fuir sa vie solitaire pour rejoindre
la collectivité de ses semblables. Tout
pour dire que l’incapacité naturelle de tout faire oblige le vivre-ensemble
pour contrer les incertitudes de la vie seule.
Comme la collectivité devient le recours le plus sûr pour tout homme, il
convient de l’organiser, de la sécuriser et d’harmoniser les activités afin que
chaque individu puisse tirer son épingle du jeu en fonction de sa
capacité. Ce qui n’élimine pas pourtant
les incertitudes. Même réduites,
celles-ci peuvent se vivifier sous une forme ou une autre pour secouer la vie
collective. Ceci dit, autant que les
incertitudes persistent, il y aura des émeutes ou d’autres formes de
déstabilisation. Vu que la nature des
dernières émeutes est liée à l’absence du pouvoir d’achat, tout effort sera un
coup d’épée dans l’eau s’il n’est pas dirigé vers la création massive
d’emplois.
II : Les conséquences des incertitudes dans la vie
collective
Les
incertitudes sur ce que sera demain pour certains, ou sur l’effet du
comportement des lésés donnent nécessairement lieu à un manque de confiance
collective qui débouche sur des actions agressives, des actions préventives
violentes ou des réactions d’une même teneur de part et d’autre. Si la privation de l’élément de base de
survie (la nourriture) est chronique, la résultante ne peut être que des
casses. Les grandes révolutions de
l’histoire de l’humanité ont toujours le ventre vide comme une des causes. Résoudre le problème de la faim est devenu la
préoccupation de tout système de gouvernance mis en place pour harmoniser le
vivre-ensemble. En effet, si l’état de
privation demeure, toutes institutions informelles ou formelles, qu’elles
soient les traditions, les mœurs, les lois, la constitution ou l’Etat, seront
impuissantes face à ces incertitudes et ne pourront jamais empêcher des
mouvements de déstabilisation.
Etant
un système de gouvernance devant gérer les frictions survenues des interactions
pour un bénéfice mutuel, leur absence ou faiblesse met en péril une
collectivité. Revient-il à dire que les émeutes
que vient de vivre Ayiti indique son absence ?
Certes, la situation est fâcheuse, mais elle est loin de priver le
système de gouvernance actuel de sa bonne nature tirée de l’intention de départ
d’harmoniser le vivre-ensemble. Un
système devrait permettre de diagnostiquer le mal pour au moins localiser les
points défectueux, entreprendre les réparations nécessaires et assurer le bon
fonctionnement du vivre-ensemble. Le cas
des récentes troubles autour de la hausse généralisée des prix des produits de
première nécessité dévoile les failles du système de gouvernance économique Ayitien
qu’il faut remmailler.
III : Quelle réparation du système de gouvernance
Ayitien ?
L’urgence
interpelle les parties prenantes sur l’impératif d’atténuer le sort de la
population par la destitution d’une branche de l’exécutif, et par la baisse du
prix du riz. Si la première représente un
des axes qui font tourner le système de gouvernance politique, mais ne rend pas
les résultats recherchés, le rationnel exige soit sa réparation ou son remplacement
dépendant du degré de son imperfection. Le
jugement ultime a été de changer cette partie tarée pour repartir à neuf. Relevant de la gouvernance politique, le
vivre-ensemble peut toujours se faire avec cette décision pourvu que la
gouvernance économique le permette. L’implication faite ici est la commande de la
gouvernance politique par la gouvernance économique, pour hiérarchiser les
différentes institutions appelées à réduire ou à neutraliser les externalités
négatives résultant des actions individuelles ou de groupes. Dans ce sens, il suffit de négliger un simple
mauvais fonctionnement de la gouvernance économique réparable d’ailleurs avec
un coût zéro presque pour chambarder la gouvernance politique.
Le
deuxième volet de la décision rendue pour atténuer la misère du peuple et
calmer les tensions touche la gouvernance économique par la baisse du prix
temporaire d’un seul produit de première nécessité. Peu importe la sagesse et la technicité avec
lesquelles le nouveau gouvernement sera constitué, une réparation boiteuse du
système de gouvernance économique va ramener le pays à la case départ. Le pays devrait profiter de cette turbulence
pour se focaliser sur sa réorganisation économique (Voir Le Matin 24-25 juin
2007 ; Jean Poincy : “La nécessité d’un plan directeur pour
l’économie”). Le Président René
PREVAL est vivement critiqué du fait que sa proposition de sortie de ce marasme
n’aborde que le long terme sans toucher le court terme alors que le vivre-ensemble
est en état d’urgence. Le regrettable
est qu’aucune proposition économique tangible et pratique n’a été avancée. La tornade de débats ressassant différents
principes économiques ne fait que noircir l’horizon du numéro un alors que son
idée, sensée ou insensée qu’elle puisse être, a besoin d’être travaillée pour
trouver une solution durable et appropriée à la réalité Ayitienne. D’ailleurs, son idée de production nationale
n’est pas nouvelle de lui, il en a fait part lors de son discours de
circonstance au début de l’année en évoquant la production nationale du
jus.
IV : La substitution à l’importation comme
stratégie de production nationale
Le
Président peut proposer n’importe quoi, mais il revient aux ingénieurs de la
gouvernance économique de peaufiner son idée pour la faire atterrir. Cependant, quand ceux-ci parlent de
développement économique, ils jurent par le tourisme et le projet HOPE sans accepter
le fait que ce sont simplement des secteurs accompagnateurs dans le processus
de création d’emplois supplémentaires. Quand
ils parlent de production nationale, ils entendent la production des denrées
d’exportation pour assurer la rentrée des devises, sans l’accepter comme un
handicap à l’économie (Voir Le Matin 14-15-17 Août
2007 ; Jean Poincy : “La nature extravertie de l’économie
Ayitienne : un mal-économique à traiter”). Lors de l’affaire des mangues franciques, un indicateur du “mal économique” du pays, penser
autrement la production nationale de manière structurelle n’a jamais été un
sujet d’intérêt pour beaucoup, alors que les responsables avaient besoin d’être
guidés. Fallait-il attendre cette triste
situation pour que le Président reparle de la production nationale et
buter encore à de virulentes critiques ?
Malgré tout, son idée de production nationale a reçu l’approbation
générale, mais rien n’y a été ajouté ni enlevé par les techniciens pour
davantage alourdir l’atmosphère.
Aussi
juste que soit l’idée de production nationale, il faut la travailler pour non
seulement déterminer sa nature, mais aussi dessiner la structure de la nouvelle
réorganisation économique sous un nouveau système de gouvernance. Partageant l’idée de production nationale, il
est impératif d’opter pour une stratégie de substitution à l’importation des
biens manufacturés aux fins de relancer la production industrielle et
d’alimenter un flux de revenu régulier pour garantir un pouvoir d’achat. Relativement à la production vivrière, elle a
une plus forte capacité de création d’emplois pour élargir la base du revenu
national capable d’engendrer un plus haut niveau de vie. L’incapacité naturelle de l’agriculture de
nourrir beaucoup de gens et l’inefficiente gestion/utilisation des ressources dans
le cas d’Ayiti constitueraient un handicap majeur à toute relance économique,
si la production nationale supposait l’axe vivrier. Même avec une meilleure gestion accompagnée
d’une production biologique agressive, il est fort douteux que les rendements
souhaités soient au rendez-vous avec seulement 1/3 de terre arable dont une
bonne partie est minée par l’érosion ou utilisée à d’autres fins.
V : La plaidoirie pour un pouvoir d’achat garanti
Si
l’idéal est l’auto-suffisance alimentaire, il faut prendre en compte ces
contraintes et la tendance à consommer d’autres types de biens aussitôt que le
besoin alimentaire est satisfait. Avec
un faible pouvoir d’achat, ce comportement transitoire respectif à
l’amélioration des conditions de vie serait inhibé au point de ralentir le
progrès économique. L’abondance
alimentaire n’a jamais été réputée pour élargir la base du revenu national et
ce ne sera pas différent dans le cas d’Ayiti.
Telle est la logique économique favorisant une stratégie de production
nationale axée sur la renaissance des petites industries locales pour non
seulement renforcer le pouvoir d’achat, mais aussi pour la production des biens
manufacturés importés habituellement. Cela veut dire qu’aucune réduction de prix des
produits de première nécessité ne peut réduire la misère de certains. La réduction de prix qui n’est pas une élimination
ni une subvention totale conserve quand même un niveau de prix. Ce qui rend toujours le produit
inaccessible. Même si le produit coûte
un centime, celui qui n’a pas cette somme requise en poche ne peut l’acquérir
et est exclu du marché en conséquence.
Comme
le prix est un outil d’exclusion par excellence, toute velléité d’un
gouvernement qui souhaite atténuer le sort d’une population est de donner à
chacun la possibilité d’avoir un revenu régulier pour lui garantir un pouvoir
d’achat stable. Lors, il serait plus
facile au gouvernement de mieux formuler ses politiques de subvention ciblées. C’est une initiative actuellement impossible
dans le pays en raison, de l’absence d’un système d’identification de ses
citoyens dès leur naissance, d’un système fiscal défectueux qui ne permet pas
d’évaluer/de vérifier leur capacité financière, ni de capter rationnellement leurs
transactions sur le marché, et de l’incapacité des autorités de les localiser avec
exactitude. Ceci dit, toute subvention envisagée
serait pervertie en devenant générale pour rendre bénéficiaires aussi ceux qui
n’en ont pas besoin, comme M Kesner Pharel l’a déjà si bien expliqué. Il en est de même pour une réduction de taxe
sur les produits alimentaires ; car seuls les capables vont en bénéficier
pendant que les moins capables comme bénéficiaires légitimes vont être les
premiers à en jouir moins.
VI : Le choix des activités porteuses
L’argumentaire
est que celui qui travaille et reçoit un revenu régulier a un pouvoir d’achat
garanti. En posture de budgétiser son
revenu si peu qu’il soit, il saura comment tenir le coup tant bien que
mal. Cependant, le faible revenu à tirer
de l’abondance alimentaire rendrait incertaine sa survie économique en raison
des caprices de la nature qui peut gâcher une récolte prometteuse ou de la
fluctuation des prix des produits agricoles déterminés sur le marché international
dans le cas où il exporte le surplus. Le
fait que le pays n’a aucune influence sur la détermination du prix de ses biens
au niveau du marché international, la chance de gagner beaucoup est
considérablement réduite. Toutefois, la
voie vivrière est loin d’être négligeable, si elle ne peut pas paver le chemin. Dans ce cas, toute allocation de ressources visant
à relancer l’économie devrait placer l’industrialisation par la substitution à
l’importation en premier ordre suivie de la production vivrière sur l’échelle
de priorité. Vu que la probabilité pour
le pays de continuer à importer sa nourriture est grande, il est absurde de
faire de la production alimentaire son cheval de bataille. Peu importe son niveau de production, il
faudra toujours importer pour compenser son insuffisance.
Ceci
étant dit, le pays devrait asseoir ses nouvelles politiques économiques sur
l’exploitation du secteur primaire non pour produire uniquement des denrées
alimentaires, mais pour produire des matières premières nécessitant une transformation
intense pour la consommation de masse.
Alors que dire de la mise en place de l’industrie textile en passant par
la production massive du coton, lequel sera transformé en fil, teint et tissé,
à la confection des vêtements comme produits finals ou d’autres accessoires
textiles pour l’usage quotidien de tous.
Que dire de la mise en place de l’industrie de chaussure en passant par
l’élevage pour la production du lait et produits dérivés, au cuir pour
alimenter la maroquinerie et répondre aux besoins de se chausser, d’ameublement
etc. Le judicieux vient de l’élevage qui
constituerait une stratégie mixte dans le choix de la production
alimentaire. Etant une source de
production très riche en protéine avec la viande et le lait, il serait complété
par l’importation des céréales comme le blé, le maïs et le riz cultivés en
partie pour assurer la consommation de calories dont la combinaison devrait aider
à maintenir la balance nutritive de la population.
Il
suffit d’agencer cette stratégie pour déterminer :
- quoi produire ;
- les régions affectées à tel type de
production suivant leur avantage comparatif des coûts de production (Voir Le
Nouvelliste, 16 mai 2006 ; Jean Poincy : “Pour un nouvel ordre
économique en Ayiti”) ;
- les types d’activités à entreprendre
par le privé et par le public respectivement sans que l’un empiète sur
l’autre ;
- l’échéance pour la réalisation du
maximum dans 10 ans ;
- le degré d’ouverture du marché local
pour la libre entreprise ;
- les politiques commerciales visant à
protéger les industries naissantes en décourageant l’importation des
produits concurrents, et promouvoir l’exportation des produits locaux du
pays.
Jean
POINCY
Juin 2008
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