Le récent vacarme sur la tenue d'une conférence nationale confirme l'état de dysfonctionnement de la société Ayitienne. Si les partis politiques, la société civile et autres hésitent sur ce que doit être l'issue d'une conférence nationale, le 'gouvernement-mécanicien' de son côté est clair sur son appel. Ayant dénommé l'initiative le "dialogue national", il n'entend pas toucher à la présente constitution qui fait le malheur du pays. En plein coeur d'une controverse sur la refonte du pays, la question simple de refaire le pays ou pas, par le biais d'un nouveau contrat social, doit être posée en référendum où les citoyens seront dûment bien informés de ce qu'il en est. Persuadé qu'une forte majorité opterait pour une refonte structurelle, je supporte l'idée que tout processus du genre, peu importe sa dénomination, doit nécessairement enfanter un nouveau contrat social pour renverser la situation.
A un tournant fatidique où le collectif flanche, aucun privé ne peut prétendre jouir d'un quelconque bien-être, l'injustice de tout genre règne, il n'existe aucun outil correctif pour maintenir un certain équilibre, la paix et le progrès sont compromis. En conséquence, la volonté de résoudre ces problèmes doit se manifester dans le cadre d'une nouvelle conception du système de coopération sociale afin de mieux déterminer la finalité réelle du 'vivre-ensemble'. Dans cette perspective, ce texte entend :
1) expliquer la logique de l'action individuelle dans un cadre collectif ;
2) ramener l'attention sur les éléments réels d'une refonte durable ;
3) montrer que l'engagement individuel ne vise pas le collectif ;
4) identifier l'individu comme la finalité réelle du collectif ;
5) ébaucher brièvement une définition objective d'un contrat social.
1 : La logique de l'action individuelle
Tout citoyen égoïste et rationnel doit courtiser l'idée d'un redémarrage social, pour mieux défendre ses propres intérêts tout en tenant compte des intérêts de l'autre dans son calcul. Si le contraire revenait à minimiser la présence de l'autre sur l'échiquier social et sous estimer sa capacité de revendiquer sa part sociale, ce serait une plongée étouffante dans les abysses de la violence et de la misère sociale. Ayiti resterait davantage figée.
De par son égoïsme, l'individu ne vise que son intérêt, mais son côté rationnel l'oblige à intégrer l'autre dans son calcul pour lui permettre de mieux maximiser ses intérêts. Cependant, si par un égoïsme aveugle, il refuse d'intégrer l'autre, son attitude réduirait ses avantages à une fonction nulle. Ce serait irrationnel de sa part, parce que son comportement provoquerait une rupture dans ses démarches de répondre à ses besoins égoïstes. Etant rationnel, il n'adopterait aucun comportement capable de porter préjudice à ses intérêts directement ou indirectement. Dans ce cas, son équation de maximisation devient complexe et comprend une constante qui est sa propre action et un groupe de variables d'anticipation comme :
- le résultat de ses actions ;
- les possibles externalités de ses actions sur les autres ;
- la complicité de l'autre jouissant des externalités positives ;
- la réaction de l'autre subissant les externalités négatives ;
- les remèdes possibles pour empêcher une réaction violente perturbant ses intérêts.
Serait-ce ce calcul complexe qui rend l'Ayitien irrationnel et adopte le comportement le plus simple qui est le vouloir de tout gagner d'un coup sans considérer l'autre ? Un tel comportement qui prend une envergure collective dans le cas d'Ayiti entraîne inéluctablement la perte sociale. La raison est que l'autre ignoré est aussi égoïste et a un droit naturel de défendre ses propres intérêts comme tous les autres membres de la société. Etant empêché, il réagirait de façon à perturber le processus de maximisation des avantages de ceux qui l'excluent dans leur calcul. L'idéal serait de permettre un gain proportionnel à chacun.
2 : Les éléments réels d'une refonte durable
Peu importe les perceptions sur le contenu d'une conférence nationale, la question épineuse demeure: Faut-il refaire Ayiti ? Ayant compris l'enjeu comme esquissé ci-dessus et après un tour de table si elle trouve une adhésion positive avec une forte majorité pour ne pas dire unanime, la question suivante sera sur quelle base doit-on refaire Ayiti ? Je crains que cet exercice lancé par le 'gourvernement-mécanicien' débouche sur une tirade et passe entièrement à côté de l'aspect pragmatique de la nécessité de refondre notre société.
Déjà, les pré-débats fourmillent sur des éléments qui ne doivent, en aucun cas, être des matières de discussion dans une conférence nationale pour enfanter un nouveau contrat social. Il est impératif que la conférence nationale tourne autour d'un nouveau contrat social, mais nul part, il est question des principes fondamentaux et universels sur lesquels doit reposer celui-ci. Au contraire, les diseurs de tout genre ne parlent que de définition de conférence nationale, de stratégies de développement de la nation, ou de l'implication directe de tous les citoyens dans le processus décisif, et s'attardent sur l'acception des étiquettes comme dialogue national ou conférence nationale. Cependant, de la justice, l'équité, d'une perception collective d'un contrat social, il n'en est jamais question. Cela laisse supposer, que ces concepts sont déjà assimilés par tous, que leur place dans un contrat social est connue d'office et que revenir dessus serait un retour sur les a b c d'un contrat social. Ce serait une erreur fondamentale, et une telle attitude constituerait le germe de l'échec de cette entreprise.
En référendum, aux questions demandant si Ayiti va bien ou mal, et s'il y a nécessité de refondre Ayiti ou pas, je suis persuadé que 8 réponses sur 10 diraient que ça va mal et 9 sur 10 souhaiteraient refondre Ayiti. Ce serait une forte majorité qui obligerait la collectivité à penser au comment faire. Donc, l'effort serait vain de s'éterniser sur les stratégies de développement du pays, comment privilégier les régions et harmoniser leurs différentes manières de vivre. Les réponses seraient l'expression des intérêts privés de chacun des membres de la population et l'avantage qu'une refonte apporterait à chaque participant. Une telle position serait correcte et devrait être l'élément moteur de la participation de quiconque dans le processus. Elle serait le pivot de toute discussion sur la formation d'un système de société capable de rendre égale la chance de chacun de réaliser son potentiel humain. S'il n'y avait pas tous ces intérêts conflictuels et un niveau d'insatisfaction, quel serait la nécessité de mettre en branle une conférence nationale pour formuler un contrat social capable d'assurer les parties d'une jouissance d'un degré de satisfaction ?
Il n'est point nécessaire d'éplucher toutes les théories sur le contrat social pour savoir que ce sont les intérêts de chacun qui entrent en jeu ; surtout quand tout se fait au nom de la démocratie. Sur le comment parer aux réactions mécontentes de la part de ceux qui sortent insatisfaits, comme conséquence inhérente à ce départage, toute partie veillerait à ce qu'elle aie de l'avantage. Tout étant encore légitime, cette situation est un dilemme. En partant d'un point où aucune partie ne peut prédire ou prévoir le résultat à l'avantage ou au désavantage de l'un ou de l'autre dans la conception d'un système de départage, chaque partie encourt un risque égal d'être victime d'un mauvais sort. L'acceptation d'une telle possibilité porterait toutes les parties à penser à une soupape de sécurité ou un outil correctif compensatoire. Naturellement et implicitement le système établi ferait régner la justice et l'équité.
3 : La vrai nature de l'engagement individuel
Considérant les caractères intrinsèques d'un contrat qui sont la justice, l'équité et la protection de soi, il importe de savoir exactement quelle place donner à l'individuel et au collectif. Dans l'exercice d'élaboration d'un nouveau contrat social, il faut éviter de se piéger avec le concept "vision ou but collectif" comme il en arrive à plus d'un dans leur tentative de définition d'un contrat social.
Le concept laisse entendre une visée commune suivant un accord commun qui désengage l'individu de ses obligations individuelles pour réaliser des objectifs collectifs. Donc, les principes formant le contrat social fusionnent les intérêts de chaque individu pour une réalisation supérieure à celle de l'individu. Ce qui dirait que l'individu s'effacerait pour se confondre avec la collectivité, alors que son désir de départ d'entrer en coopération sociale via un contrat n'est autre que la maximisation de ses intérêts. En effet, chaque contractant accepterait de jouer le jeu collectif pour son propre intérêt suivant les principes régissant le droit et limitant le champ d'actions de chacun.
Par exemple, je peux passer un accord avec un autre individu pour utiliser l'eau d'une source à des heures différentes. Mon intérêt personnel est de me baigner pendant que celui de l'autre est uniquement de faire la lessive. Chacun de nous a ses intérêts régis par les principes nous obligeant d'utiliser la source à des heures différentes. Cependant, nous avons un objectif commun de garder le lieu propre et recevable suivant des principes nous obligeant à travailler et à assumer ensemble les coûts de cette coopération. Ce qui justifierait notre consentement sur un tel accord est notre bien-être individuel et l'obligation de garder le lieu propre.
Relativement, l'insalubrité du milieu peut ne pas être un élément gênant dans le processus de satisfaction de nos besoins. Cette relative jouissance fait qu'aucun de nous n'accepterait d'assumer les coûts financiers ou sociaux de participation dans cette activité collective ; surtout si la jouissance additionnelle à notre bien-être est marginale ou négligeable. Par contre, nous serions perturbés si nous n'arrivions pas à réaliser l'objectif personnel qui est pour moi de me baigner et pour lui de laver ses linges. Etant un besoin personnel absolu à satisfaire, nous accepterions de nous engager dans un tel contrat et d'assumer, sans contraintes, les coûts d'entrer en coopération par l'horaire d'usage pour mieux maximiser notre intérêt. Par contre, tenir le lieu propre ferait appel à un tiers coercitif.
L'usage du concept 'poursuite d'objetifs collectifs' laisse croire que la finalité de l'association des individus vise la collectivité comme élément supérieur ou prioritaire par rapport à l'individu. Comme je viens de le démontrer, aucun individu n'accepterait de s'oublier ni de se porter comme moyen pour réaliser un idéal collectif. Avant toute chose, il faut s'assurer de donner la place qu'il faut à l'individuel et au collectif dans toutes discussions sur la conception d'un nouveau contrat social pour le pays.
4 : L'individu comme finalité réelle du collectif
Si nous devons interpréter la collectivité comme la fusion des individus, il ne faut pas croire qu'elle est la finalité de la coopération sociale dans laquelle les individus se voient obliger d'entrer. Au lieu de faire cavalier seul ou de se trouver toujours en constantes frictions avec les autres pour le partage des ressources, les individus voient une meilleure alternative dans la vie collective pour mieux se réaliser. Il est un fait incontournable que l'individu est la finalité de toute coopération sociale, et la collectivité le moyen menant vers cette finalité. Etant un cadre d'exécution efficiente des activités individuelles, en aucun cas, la collectivité ne peut être au-dessus de l'individu.
Dans une société, quand chaque individu a la chance de réaliser de bonnes choses pour son compte, la collectivité en est la bénéficiaire ultime. S'il s'agit de mauvaises choses, la collectivité les subit aussi. En fait, le collectif n'est que le reflet de l'individuel. Cette relation 'd'action-effet' étant à sens unique, il est impossible de réaliser de bonnes choses, juste pour la collectivité, et dire que tous les individus vont en bénéficier. Quand un individu bénéficie de la réalisation d'un bien public, directement ou indirectement, l'initiative prend sa source dans l'expression des demandes individuelles.
Que signifierait la construction d'un pont reliant deux villes si les habitants de chaque côté ne pensaient pas que l'échange entre eux maximiserait leurs intérêts. Si, au préalable, ils n'avaient pas exprimé ce besoin d'une manière ou d'une autre, le pont construit comme bien public serait sans utilité pour les habitants et pour leur collectivité. Tout ceci pour dire que l'ordre de la réalisation d'un bien-être collectif pour ensuite réaliser celui de l'individu ne peut que produire de l'injustice.
Toute tentative du genre se solde toujours par un échec. Dans ce cas, la satisfaction des désirs de chaque individu étant sous la responsabilité d'une entité objective et impartiale souvent en la personne de l'Etat, il est impossible d'obtenir un degré de satisfaction appropriée à chaque individu. En effet, par des calculs erronés, le bien-être individuel est mesuré arbitrairement et les individus n'arrivent pas à réaliser leur potentiel. Il n'y a que l'individu qui connaît mieux ses désirs et sait quelle combinaison d'alternatives peut lui permettre de maximiser ses intérêts. Quand le collectif est prioritaire sur l'individuel, un autre inconvénient est de croire que le gain de la majorité l'emporte sur la perte d'une minorité. Si toute coopération sociale devrait permettre à chaque contractant de mieux se réaliser, aucune action qui est au détriment d'une minorité ne peut être considérée comme juste. Elle serait en contradiction avec les principes de base d'un contrat juste et équitable.
Il faut cesser de croire que quelqu'un qui endosse un contrat social le fait dans un but collectif. Il le fait uniquement pour son propre intérêt. Le hic est : comment agencer ces intérêts individuels pour les transformer en un produit collectif. Sans vraiment s'y impliquer, l'effet collectif se produirait sous le guide d'une entité invisible, si je peux me permettre le terme. Ceci dit, le collectif est au bas de la hiérarchie des actions ou intérêts de chaque contractant, et encore comme une conséquence de l'individuel. De toute évidence, le point focal de la refonte de la société ayitienne ne doit être que l'individu ayitien. L'idée c'est de la remodeler pour rendre l'individu prioritaire et maître de ses actions, de ses bonheurs et malheurs. Il faut en profiter pour décourager la relation paternaliste qui fait que le citoyen ayitien attend toujours à ce qu'on fasse quelque chose pour lui. Par de sages principes, tout cela reviendrait à harmoniser leurs activités sans leur prescrire le mode d'opération et à prévoir des moyens de compensation.
5 : Une définition objective du contrat social
Dans cette perspective, je propose une définition du contrat social reflétant les arguments précédents, comme fondement de toutes discussions visant à un nouvel ordre social du pays :
Le contrat social est un accord qui, passé entre les membres d'une même communauté, les engage dans une coopération sociale en vue de réaliser leur bien-être individuel et le bien-être collectif en conséquence.
Jean Poincy
10 Février 2005
Le Nouvelliste
Le Nouvelliste
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