En phase de reconstruction après le désastre du 12 janvier 2010, il est incompréhensible que les discours sur la relance économique du pays ne changent pas de ton. Si ce n’était le vacarme sur le déblayage des rues, l’organisation des élections et la gestion de l’aide internationale, on se croirait à la veille du séisme. En effet, tous ceux qui s’intéressent à l’économie Ayitienne ne jurent que par les activités d’assemblage. Ils oublient vite qu’Ayiti n’est jamais devenue la Taiwan de la Caraibe comme espérée dans les années 70 avec cette activité de production introduite sous le label d’industrie d’assemblage. En 2009, le professeur Paul Collier sous l’auspice des Nations-Unies en faisait une litanie dont les refrains sont repris en chœur par les intéressés. Si la logique est la résorption du chômage, il y a lieu d’apporter un bémol pour profiter de la main-d’œuvre à bon marché et de l’infrastructure qui sont déjà un acquis. En ces termes, il convient d’élargir l’horizon économique pour incorporer l’industrie textile dans son intégralité, surtout que la loi HOPE offre une juteuse opportunité de réaliser l’intégration structurelle primordiale au développement économique du pays. L’objectif de ce texte est de démontrer la justesse d’une telle entreprise.
En cours, il fait état de la nature pervertie du secteur d’assemblage afin d’identifier les industries potentielles avec emphase sur le textile comme un choix porteur. Il continue pour évoquer sa force relative à l’agriculture vivrière par une plaidoirie démontrant sa faisabilité et les avantages qui en découleront dans le temps, moyennant l’accompagnement des politiques commerciales protectrices des industries naissantes.
I : La nature pervertie de l’assemblage comme unité de production
Le succès de l’assemblage qui n'était pas au rendez-vous lors s’explique par le fait que l’accent n’était pas sur le développement des niveaux de transformation inhérents à une industrie textile. Le principe naturel n’étant pas respecté, les résultats escomptés faisaient défaut. Les écarts étaient les suivants :
- Comme dernier maillon de la chaîne de l'industrie textile, l’unité d'assemblage n’était pas conçue pour engendrer des effets d’entrainement en amont. En conséquence, l’intégration structurelle primordiale au développement économique n’a pas eu lieu, et le nombre d’emplois créés circonscrits à l’assemblage était d’un impact négligeable sur l’économie.
- Le produit final étant destiné au marché international, le marché local n’en bénéficiait pas. Il n’y a pas eu une production locale au service de la consommation locale. Les efforts d’investissement déployés étaient principalement dirigés vers l’assemblage.
II : Les industries potentielles : textile, élevage, laiterie, viande, maroquinerie et chaussures
La position n’est pas de dire non à l’assemblage comme unité de production, mais plutôt de faire d’elle une partie intégrante de la chaîne complète de l’industrie textile dont la structure contourne les maillons suivants et d'autres liens dérivés:
Le textile
- L’agriculture pour la culture du coton.
- La filature pour la transformation du coton en fil.
- Le tissage pour la transformation du fil en tissu.
- La confection pour la transformation du tissu en vêtements et en tout ce qu’on peut utiliser comme essuie, couverture etc.
- La teinturerie pour la transformation des matières organiques en colorant pour teindre le fil.
- L’huilerie pour la fabrication de l’huile de cuisson à partir des graines de coton.
L’alimentation des animaux à partir des résidus de graines de coton contribuerait à l’entretien des bovins pour le développement des industries suivantes :
- La laiterie pour la fabrication, la consommation et la commercialisation du lait, du fromage, du yaourt, du beurre etc.
- La boucherie pour la production, la commercialisation et la consommation de la viande.
- La maroquinerie/tannerie pour le traitement de la peau ou sa transformation en cuir, et la fabrication des produits en cuir.
- L’industrie de chaussures pour la fabrication de chaussures.
III : Plaidoirie pour l’industrie textile
Il y a deux raisons capables de justifier le choix porté sur l’industrie textile :
- Les produits textiles sont condamnés à être renouvelés en permanence à cause de l’usure pour maintenir en vie différents maillons de la chaîne. Chaque maillon a une forte capacité d’absorption de travailleurs pour leur garantir un revenu régulier aussi faible soit-il.
- Les produits textiles fabriqués et consommés par la population Ayitienne suffisent pour propulser l'économie et assurer une croissance économique durable.
Donc, faire de l’exportation une source garantie de revenu via l’assemblage est une stratégie économiqu€e boiteuse. Pourtant, si l’industrie textile existait dans son intégralité avec tous ses maillons pour donner lieu aux effets d’entrainement en amont et en aval, créer beaucoup d’emplois, et produire des biens pour la consommation locale, la promotion de l’assemblage pour l’extérieur ne poserait aucun problème comme source supplémentaire d’emplois. Concrètement, il rendrait effectives les provisions de la loi HOPE qui permettent l’utilisation d’intrants venant d’un pays autre que les Etats-Unis.
Le dilemme avec le libre-échange
Ayiti est prise dans l’engrenage du libre-échange sans savoir comment se tirer d’affaires. Pourtant, être en faveur du libre-échange ne signifie pas donner aux autres libre cours à son marché sans protéger son système de production. Comment s’engager dans un tel jeu fait toute la différence. Partant d’un principe fondamental qui requiert d’un pays un surplus du bien produit ou la possession d’un bien sans valeur, il est clair qu’à défaut de ces conditions, le libre-échange est périlleux pour un pays.
Le problème se pose à deux niveaux :
Même avec un niveau de production extrêmement élevé, l’économie ne verrait pas le bout du tunnel, si l’industrie textile n’était pas mise en marche pour le marché local d’abord, et le marché international subséquemment. Ce qui demanderait à négliger la culture vivrière au bénéfice de la culture du coton et de l’élevage. Si ces derniers peuvent nourrir l’espoir de franchir les barrières du marché international un jour après avoir atteint un niveau de qualité, la culture vivrière n’a pas cette même capacité. La lutte serait plus corsée non pas à cause de la compétition des produits vivriers similaires étrangers qui s’imposent déjà sur le marché national, mais plutôt en raison de sa dépendance des caprices de la nature et du fait que les prix sont fixés sur le marché international. Dans le cas contraire, il faudrait une production massive des produits vivriers de qualité à faible coût ; ce qui n’est pas possible pour les raisons déjà évoquées.
- Là où deux ou plusieurs pays produisent le même bien et s’engagent dans l’échange, il faut un degré de compétitivité pour y survivre.
- Là où un pays n’a rien à échanger avec un coût équivalent, survivre est impossible et il ne peut être question de compétitivité.
Même avec un niveau de production extrêmement élevé, l’économie ne verrait pas le bout du tunnel, si l’industrie textile n’était pas mise en marche pour le marché local d’abord, et le marché international subséquemment. Ce qui demanderait à négliger la culture vivrière au bénéfice de la culture du coton et de l’élevage. Si ces derniers peuvent nourrir l’espoir de franchir les barrières du marché international un jour après avoir atteint un niveau de qualité, la culture vivrière n’a pas cette même capacité. La lutte serait plus corsée non pas à cause de la compétition des produits vivriers similaires étrangers qui s’imposent déjà sur le marché national, mais plutôt en raison de sa dépendance des caprices de la nature et du fait que les prix sont fixés sur le marché international. Dans le cas contraire, il faudrait une production massive des produits vivriers de qualité à faible coût ; ce qui n’est pas possible pour les raisons déjà évoquées.
L'assemblage étant considéré uniquement, sa déficience réside dans le fait que le pays ne fabrique pas ses propres produits textiles. Il ne fait qu'assembler les pièces reçues pour en faire des produits à destination du marché international. Cette activité n'a aucun impact sur le moteur de l'économie. Non seulement, elle ne laisse pas de place pour les liens entre les différents secteurs où de nombreux emplois seraient créés, mais aussi la consommation locale qui est le nerf principal de l'économie est totalement absente. Les produits finaux ne sont pas vendus sur le marché Ayitien. La transaction économique n'est autre qu'une sous-traitance, car les producteurs Ayitiens ne font qu’honorer une commande de biens conçus par les firmes étrangères dont les intrants sont assemblés en Ayiti (HOPE entend corriger cet aspect). Dans ce cas, il est erroné de parler de l'exportation des produits Ayitiens en provenance de l’unité d'assemblage.
IV : Périodisation de l’implantation de l’industrie textile
Il est dommage que les investisseurs Ayitiens ne s’accrochent qu’au dernier maillon de la chaîne via la sous-traitance qui libère les investisseurs étrangers de certaines obligations. Ce faisant, il leur est facile de changer de sous-traitants d'un pays à l'autre selon leur gré ou lorsque le problème d’insécurité est posé. Telle n’est pas une situation rassurante pour l’économie du pays. Cela ne peut être corrigé que par un flux d’investissement direct dans l’économie. Le reconnaissant comme une condition pouvant garantir la relance économique, les responsables n’hésitent jamais à brandir la loi HOPE comme outil privilégié qui offre de nouvelles perspectives de gains aux investisseurs. Malgré tout, la campagne d’invitation aux investissements étrangers bien que pertinente n’arrive pas à sensibiliser les investisseurs étrangers. La réticence de ces derniers résulte du fait que l’assemblage ne leur offre aucune perspective alléchante, un aspect que les promoteurs de l’assemblage ne semblent pas appréhender.
S’agissait-il d’investir dans la production massive des biens de consommation, en l’occurrence l’industrie textile, de chaussures ou autres, ils seraient plus enclins à prendre le risque. Le dilemme est qu’il n’existe aucune structure industrielle capable d’attirer ces investisseurs. L’idéal serait de l’implanter indifféremment des coûts initiaux de capitalisation. Une planification rationnelle montrant son développement devrait suffire pour attirer tout investisseur intéressé à gagner beaucoup. Considérant le contexte actuel où l’assemblage prédomine, il faut commencer quelque part avec un plan économique bien conçu où Ayiti peut remonter la courbe du temps aux fins d’établir les maillons manquants de la chaîne.
Remonter la filière est faisable sur quatre périodes durant 8 à 20 ans pour avoir une industrie textile complète. A noter que l’intervalle de temps d’acquisition des équipements et techniques du tissage, de la filature, de la teinturerie ou de toutes activités relatives à l’existence de l’industrie textile au niveau des différents maillons serait de 2 à 5 ans suivant le dynamisme des responsables. Tel est le temps requis pour maîtriser pleinement une activité et cesser l’importation correspondante.
Période 1: avec l’existence de l'assemblage il est un fait que tous les intrants seraient venus d'ailleurs comme la loi HOPE le permet. Cette première période va durer de 2 à 5 ans en important les intrants.
Période 2: deux à cinq ans après, à côté de l’assemblage existerait le tissage. Le pays cesserait d’importer les tissus pour utiliser ceux qui sont fabriqués localement. Toutefois, il continuerait à importer les fils servant à tisser. Se référant à l’exemple de départ, 100 nouveaux emplois permantents seraient créés pour augmenter le total à 200. Il faut alors 4 ou 10 ans pour que le pays commence à se créer une place dans la fabrication de certains intrants textiles et s’ouvrir la porte du marché international en conséquence.
Période 3: au cours de cette période, dans 6 ou 15 ans, il y aurait trois ou quatre secteurs d’activités avec l’ajout de la filature et de la teinturerie. Suivant la même logique, les principaux intrants seraient fabriqués dans le pays pour élever le total d’emplois permanents à 400. Tout aussi bien, le pays serait présent sur le marché international pour commercialiser ces produits made in Ayiti. Il importe de remaquer que 6 à 15 ans suffiraient amplement pour rendre effective une réforme agraire et préparer la terre pour la culture du coton.
Période 4: au bout de 6 à 15 ans, la chaîne de l’industrie textile serait complète avec la culture du coton. Donc dans l’espace de 8 à 20 ans, la strucuture de l’industrie textile serait mise en place de manière durable pour déboucher sur le développement structurel en créant les effets d’entraînement désirés en amont. Il convient de rappeler que ce calendrier ne devrait pas être rigide parce qu’il est possible de réaliser certaines activités avant la période prévue. Par exemple, l'activité au cours de la période 4 pourrait commencer plus tôt.
Une telle planification laisse entendre une bonne organisation économique où les investisseurs seraient encouragés à s’impliquer dans le projet pour tirer leur épingle du jeu tout en créant de nombreux emplois. Outre la garantie de la sécurité individuelle/collective et la protection des propriétés privées, la maximisation de leurs gains est la seule fome d’incitation capable d’attirer les investisseurs étrangers. Les investisseurs Ayitiens seraient aussi intéressés.
V : Les avantages de l’industrie textile
Collectivement, la société bénéficierait de l’implantation de l’industrie textile. Pendant que les investisseurs maximiseraient leurs gains, la force du travail recevrait un revenu régulier si peu qu’il soit, et le gouvernement pourrait enfin garnir son assiette fiscale. En effet, une large production destinée aux marchés national et international augmenterait les gains des investisseurs qui consentiraient d’élargir la base du système de production. Ce serait traduit par de nouveaux emplois pour augmenter la capacité de consommation de la population dont les transactions seraient une source supplémentaire de revenu public à côté des impôts sur le revenu. L’État cesserait en conséquence d’être le principal employeur du pays pour libérer son budget et fournir les services relevant de sa fonction. La même analyse peut être faite avec l'industrie de chaussures ou une autre avec un même potentiel.
L’idée centrale est un développement économique qui établit une interdépendance entre différents secteurs de production pour créer autant d’emplois que possible, augmenter le pouvoir d’achat et rendre effective la consommation capable d’améliorer les conditions de vie. Il faut se garder de réduire une telle réalisation à une croissance économique, mais plutôt l’appréhender à l’intégration structurelle de l’économie bénéfique pour tous. Concrètement, il s'agit de répondre aux besoins de la population. La durée dépend de la nature des politiques économiques qui vont accompagner le plan de développement, et du taux d'investissement que le pays accepte d’assumer. Toutefois, l’atteindre sur une période de 20 ans serait une grande réussite.
VI : Les politiques commerciales protectrices et politiques fiscales incitatrices
Il est clair que ce démarrage donnant lieu à des industries naissantes ne sera pas efficace si les règles du jeu du libre-échange ne sont pas restrictives du côté d’Ayiti. Nécessairement, il faut protéger ces industries contre la concurrence. A ce stade initial, deux inconvénients risquent d’ébranler la détermination des investisseurs qui veulent gagner immédiatement. Ce sont le coût d’acquisition des infrastructures/machines/équipements, et la qualité des produits finis qui ne garantissent aucun gain immédiat ; ce que le temps d’apprentissage pour maîtriser les techniques de production ne garanti pas avant de se hasarder sur le marché international.
Pour assurer la confiance des investisseurs, des politiques commerciales et fiscales appropriées devant régir l'importation, l'exportation, et l’investissement sont impératives. Elles se résument comme suit :
- La franchise douanière serait accordée sur l'importation des machines et équipements ou sur des intrants destinés aux industries pour la production nationale.
- Des taxes ou quotas (si ce n’est une interdiction) seraient imposés sur l’importation des produits de même nature que le produit fini de l'industrie naissante.
- L’exportation des intrants locaux dédiés à la production finale serait interdite.
- La permission d’exporter les produits finis fabriqués localement dans le temps, mais après avoir atteint un niveau de qualité standard.
- Réguler le commerce interne pour la protection des uns et des autres au niveau de la production et de la consommation.
- Accorder des avantages fiscaux échelonnés sur plusieurs périodes aux investisseurs pour encourager l’emploi et leur permettre de recouvrer leurs coûts initiaux d’investissement.
Jean Poincy
Avril 2010
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