“Le projet est pris en compte. Je viens de recevoir un
coup de fil d'un responsable de la CIRH et on attend encore deux semaines pour
avoir une réponse concrète” a indiqué
le recteur de l’Université d’Etat d’Haïti lors d’un entretien avec Le Nouvelliste. Selon le quotidien, il se
montre optimiste quant à la réalisation du campus qui fera le bonheur de
quelque 15 000 étudiants issus de onze entités de l'UEH à Port-au-Prince (Le Nouvelliste, 22 août 2011).
L’idée
d’avoir un campus capable d’héberger les 11 facultés de l’Université d’Etat
d’Haïti (UEH) éparpillées depuis toujours est une obsession. Ils sont beaucoup,
incluant les responsables, à attribuer le dysfonctionnement de l’UEH à
l’absence d’un lieu commun où tous ses membres peuvent se retrouver pour
remplir leurs fonctions, soit la recherche, l’enseignement académique, le
quotidien administratif ou la gestion académique. Quand les étudiants se
plaignent de leur pauvreté académique, manifestent violemment pour un meilleur
traitement et réclament un campus universitaire commun, les responsables se
déchargent de toute responsabilité pour accuser l’Etat de les avoir handicapés
en traitant l’UEH en parent pauvre. Celui-là, de son côté, justifie son
indifférence en reprochant ses accusateurs de n’avoir pas mis l’Université au
service du pays, outre la préparation médiocre des citoyens qui profitent de
toute opportunité pour s’expatrier via des bourses dont la qualité de
l’enseignement est douteuse et est loin d’être supérieure à ce que l’UEH
prodiguait dans le temps. Pour comprendre le dilemme, ce texte :
I-
Expose la perception erronée des responsables
relative à la modernisation de l’UEH.
II-
Identifie les démarches pratiques ‘modernisantes’ de l’UEH.
III-
Propose plutôt une configuration axée sur des
Quartiers Universitaires.
I :
La perception erronée de modernisation de l’UEH
Selon les
dires d’un responsable, le séisme du 12 janvier 2010, qui a quasiment détruit
les immeubles des 11 entités, offre une excellente opportunité pour enfin
concrétiser le rêve d’avoir un campus commun. Ce qu’il considère comme le levier
de modernisation pouvant hisser l’UEH au mât des universités modernes. Pour le
conseil exécutif, un tel site permettrait de répondre “…aux normes standards et
internationaux…” et pourrait aussi “…symboliser la volonté des dirigeants de
l’UEH de répondre aux attentes de la nation et de jouer son rôle
constitutionnel.” (Le Nouvelliste No. 38462 samedi 26 et dimanche 27 février 2011 :
Le projet de campus de l’UEH soumis à la CIRH.) S’il faut y croire, il
est à comprendre que l’inexistence d’un campus réunissant toutes les facultés
sous un même toit cause la déchéance de l’UEH.
Penser
qu’il suffit de rassembler toutes les facultés pour remédier aux maux
endémiques de l’UEH, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Cela laisse
supposer que les paramètres définissant le fonctionnement d’un système
universitaire ne sont pas toujours cernés. S’il s’agit d’unifier l’UEH, aucune
forme de rassemblement des facultés sur un même campus ne pourra le faire. Sans
vouloir minimiser le besoin du réaménagement des lieux ou la construction d’un
campus principal, l’approche par le biais d’un campus commun est totalement
erronée.
Construire
un tel campus avant une refonte académique risque d’être un coup d’épée dans
l’eau. L’ironie est que si la refonte académique est faite, elle invalidera la
démarche d’un campus commun. Si la fonction d’une université est la création et
la transmission de connaissances, un système académique qui ne les favorise pas
réduit tout campus universitaire moderne ou pas à sa plus simple fonction
d’abri de matériel de fonctionnement, du personnel administratif et académique
qui sans un système académique rationnel ne valent rien. Par contre,
l’existence d’un tel système, en l’absence même d’un lieu de fonctionnement,
peut permettre à une université de remplir efficacement sa fonction de
création, de transmission de connaissances et de se mettre au service de sa
société. Il suffit de surfer le web pour trouver une multiplicité de formations
académiques offertes et diplômes décernés en ligne par des universités de
renom.
II : Les démarches pratiques ‘modernisantes’ de l’UEH
Les 200
millions de dollars US prévus pour la construction d’un campus universitaire
moderne serviraient mieux à refondre le système académique et reconstruire les
sites existants des entités détruites par le séisme. L’espace de chaque faculté
si bien aménagé, et le flux des étudiants et personnel académique et
administratif bien géré, il n’y a aucune raison pour que chaque faculté ne
fournisse pas un rendement optimal moyennant un cursus académique uniforme.
Tout pour dire que la renaissance de l’UEH ne dépend nullement d’un campus
commun, mais plutôt :
- D’une refonte académique afin de prodiguer les mêmes connaissances répondant à la réalité de la société Ayitienne. Tous les étudiants de l’UEH auraient à suivre un même programme ou des cours de base communs indifféremment de leur champ d’intérêt.
- D’un nouveau mode d’admission porté sur dossier en
guise d’un concours d’admission administré par chaque faculté où un
candidat peut s’inscrire dans plusieurs facultés et éventuellement être
admis dans deux ou plusieurs facultés pour ôter la chance d’admission de
quelqu’un d’autre injustement. En conséquence, tout candidat serait
inscrit et admis à l’UEH et non à une faculté.
- D’une réorganisation des curriculae pour éliminer les cours doublons, soit un même
cours enseigné par un même professeur dans plusieurs facultés en
contrepartie d’un salaire dans chaque faculté. Les avantages seraient non
seulement de réduire les coûts d’enseignement et aussi d’éviter
l’absurdité de reprendre ce même cours enseigné par le même professeur
dans une autre faculté qui décide de ne pas honorer la note de passage
reçue dans une autre faculté de l’UEH.
- De la professionnalisation du corps professoral
permanent à temps plein moyennant un salaire alléchant et des obligations
de recherche pour la production des connaissances, d’enseignement, de
gestion académique de ses cours et d’encadrement des étudiants.
- D’un système de gestion d’information informatisé
pour faciliter le suivi académique des étudiants et l’administration du
système. Finalement, l’université pourrait mieux évaluer la population
estudiantine et gérer le temps mis pour compléter un cycle d’études, et
corriger les écarts là où c’est nécessaire.
- D’une bibliothèque centrale moderne garnie de
nombreux ouvrages et revues scientifiques couvrant les différents domaines
d’études portés par les facultés. Mettre au service de la communauté
académique de l’UEH quelques revues scientifiques coûterait peu et n’amputerait
pas le budget actuel. Une bibliothèque centrale ou centre de documentation
central serait le point de convergence académique naturel où les
étudiants, professeurs, chercheurs en quête de connaissances se
retrouveraient. Ce lieu serait aménagé de telle manière à pouvoir conduire
des conférences ou colloques pour débattre les idées. La création d’une
bibliothèque ne saurait empêcher la reconstruction des bibliothèques
spécialisées de chaque faculté.
- D’un laboratoire informatique devant faciliter les
recherches et travaux académiques des étudiants, professeurs et
chercheurs.
III : Quartiers universitaires en guise de campus
commun
Tout cela
est possible sans que les facultés évoluent sur un même site, déjà qu’elles ne
sont pas si éloignées les unes des autres au point de déranger le
fonctionnement d’un système académique uniformisé et qu’il ne nécessite aucune
synergie. Concrètement, faire de la
construction d’un campus capable de réunir toutes les facultés est une
échappatoire pour ne pas aborder les vrais problèmes de l’UEH. Moderniser l’UEH
ne dépend pas de la coexistence des 11 facultés dans un même espace, mais
plutôt de la gestion du cursus universitaire et de la qualité de
l’enseignement.
Considérant
la configuration actuelle des facultés l’une par rapport à l’autre, il n’y
aucune raison de penser à un campus commun pour mieux faire fonctionner l’UEH.
N’étant pas trop éloignées l’une de l’autre, il suffit d’harmoniser le cursus
pour mieux permettre la tenue des cours spécifiques à un domaine que plusieurs
étudiants doivent suivre ensemble indifféremment de leurs champs de
concentration. Voyager d’une faculté à une autre ne serait que quelques minutes
de marche où à la rigueur rendre disponible une navette desservant un circuit
quelconque.
Tenant
compte de la position de chaque faculté l’une par rapport à l’autre dans un
même quartier, il est possible de les regrouper en Quartiers Universitaires
(QU). Si des 11 entités 6 se retrouvent dans une même zone où il faut
approximativement 5 à 15 minutes de marche entre elles, 3 dans une autre pour seulement
2 minutes de marche, et avec seulement 2 facultés relativement éloignées, il
est possible d’imaginer deux grands quartiers universitaires:
Le QU 1
formerait un triangle avec la rue Oswald Durand où se trouvent les facultés de
Médecine/Pharmacie, Odontologie, Droit et Sciences Economiques, la rue
Monseigneur Guilloux logeant les facultés des Sciences et l’Ecole Normale
Supérieure, et l’avenue Magloire Ambroise près du Champ-de-Mars où se trouve la
faculté d’Ethnologie. Entre ces facultés, la durée de marche ne dépasse pas
quinze minutes. Le QU 2 rapprocherait l’Institut National d’Administration et
de Gestion des Hautes Internationales (INAGHEI), la Faculté des Sciences
Humaines, et l’Institut Supérieur d’Etudes et de Recherches en Sciences
Sociales - Institut d'Etudes et de
Recherches Africaines (ISERSS-IERAH) où la durée
de marche serait très négligeable.
Garder les
deux autres, les facultés d’Agronomie et de Linguistique Appliquée, où elles
sont ne dérangerait aucunement le fonctionnement de l’UEH avec deux grands
quartiers universitaires. Toutefois, il serait possible de les intégrer dans
une des deux QU. Cette configuration
était possible avant le séisme, et l’est encore considérant que les
emplacements demeurent la propriété de l’UEH. Donc tout débours de reconstruction
devrait être dirigé plutôt vers la réhabilitation de ces facultés. En fin de
mandat, le conseil exécutif de l’UEH ne doit pas rater une dernière opportunité
pour poser des actions pragmatiques capables de sortir l’UEH de sa détresse
académique. Un campus commun à Damien n’en est pas une et est loin de traduire
la vision de la communauté de l’UEH d’un campus commun.
Jean POINCY
caineve@yahoo.fr
4 commentaires:
Merci pour ces commentaires très pertinents.
Je vous felicite, j'ai beaucoup apprecie et j'espere qu'ils vont comprendre et agir pour le bien etre de nos universitaires Haitiens
Je suis d'accord avec ta logique en I et II, mais en III, j'aimerais savoir, dans votre projet de QU, ce que vous prévoyez pour les églises, les "ti biznis", la circulation, précisément, pour le bruit infernal qu'ils font autour des facultés? Parce que j'ai jamais vu une université étrangère avec une église, à de pas, de qualité "Lochard Remy" avec ces programmes de louanges paralysant.
erszomix@yahoo.fr
Je suis d'accord avec ta logique en I et II, mais en III, j'aimerais savoir, dans votre projet de QU, ce que vous prévoyez pour les églises, les "ti biznis", la circulation, précisément, pour le bruit infernal qu'ils font autour des facultés? Parce que j'ai jamais vu une université étrangère avec une église, à deux pas, de qualité "Lochard Remy" avec ces programmes de louanges paralysant.
erszomix@yahoo.fr
Enregistrer un commentaire