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FÒK SA CHANJE

vendredi 16 avril 2010

HAÏTI APRÈS LE 12 JANVIER 2010

Entrevue avec Érold Joseph : Haïti, séisme et promotion de la santé
R É F I P S
Réseau Francophone Internationale pour la Promotion de la Santé

Le Réfips, sur demande du Ministère de la Santé Publique et de la Population, vient d’organiser du 9 au 13 novembre 2009 une formation à Port-au-Prince. Cette activité visait à renforcer les capacités et compétences du personnel en promotion de la santé, mais aussi à entamer l’opérationnalisation de la Politique Nationale de Promotion de la Santé fraîchement élaborée par ce ministère. Les deux institutions se penchaient sur les modalités de suivi de cette formation, quand le terrible séisme du 12 janvier terrassa Haïti.

Lettre en ligne : Quels sont, actuellement, les principaux défis en promotion de la santé en Haïti ?

Le plus grand défi, selon moi, est la médicalisation outrancière de la santé. Qu’il s’agisse du grand public, du secteur médical ou de la santé publique, on assimile encore en Haïti la santé à la médecine, aux soins curatifs. J’irais même plus loin, en affirmant que même l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Haïti partage cette vision. La conséquence, c’est que les politiques publiques, les plans d’action, les débats autour de ce thème reflètent cette conception restreinte et erronée de la santé. Tout changement, quel qu’il soit, commence dans la tête. Il faut apporter, au départ, les connaissances scientifiques. Mais pour que celles-ci deviennent opérantes et se muent en action concrète, elles doivent d’abord se transformer en croyances profondes. Ce sont les croyances qui détiennent la force de métamorphose de l’individu et de la société. D’où l’importance primordiale de coupler la formation au plaidoyer et à la sensibilisation, d’utiliser les médias. D’où la nécessité de s’adresser aux différentes dimensions de l’être humain. C’est cette vision holistique que prône la promotion de la santé.

Le deuxième défi majeur, c’est le bas niveau d’éducation de la population lié à une situation socio-économique désastreuse. Là, nous tombons directement dans les inégalités sociales, domaine cher à la promotion de la santé. Près de 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2$ par jour. 40% de ceux qui ont 10 ans et plus ne savent ni lire, ni écrire. Quand on n’a aucune instruction, les conseils de santé demeurent une abstraction philosophique. Le dénuement extrême, la faim, l’analphabétisme sont incompatibles avec l’hygiène et de saines habitudes de vie. La Charte d’Ottawa le dit, d’ailleurs, très clairement. L’éducation à la santé doit donc marcher de pair avec un plaidoyer en faveur de l’Éducation Pour Tous. Les Objectifs du Millénaire pour le développement ne sauraient demeurer des utopies. Les programmes de santé maternelle et infantile, de lutte contre le VIH/SIDA, de la tuberculose, de la malaria, doivent s’approprier la stratégie de promotion de la santé pour être à la fois efficaces et efficients. Il faut mener activement le plaidoyer pour la réduction des inégalités sociales en général.

Lettre en ligne : Y a-t-il des leçons à tirer du cataclysme du 12 janvier 2010 ? Quel est l’avenir de la promotion de la santé en Haïti ?

Il conviendrait de demander plutôt quel est l’avenir d’Haïti après ce cataclysme. Tant qu’une nation existe, tant qu’il y a des êtres humains, l’éducation et la santé restent des enjeux majeurs. La promotion de la santé, c’est la stratégie de l’amont. Elle recommande d’aller à la source, au niveau des déterminants de la santé. Et l’environnement en est un déterminant majeur. La catastrophe haïtienne a été aussi grave et meurtrière parce que, pendant près d’un siècle, nous avons négligé notre environnement. Nous avons multiplié les constructions anarchiques sur les flancs des montagnes et même dans le lit des rivières. Nous avons pratiqué la déforestation abusive, exploité les carrières de sable sur les mornes, malgré les interdictions et les mises en garde. On n’a jamais pu bloquer la migration urbaine par la décentralisation et le développement des localités périphériques. Port-au-Prince, construite sans plan d’urbanisation, ne devait accueillir que 600,000 habitants. Elle en comptait plus de 2,000,000. Le séisme du 12 janvier peut s’intituler par analogie au roman de Gabriel García Márquez : Chronique d’une catastrophe annoncée.

Je ne dis point qu’on eût pu éviter un phénomène naturel : Port-au-Prince est construite sur une faille géologique et a déjà été détruite par deux tremblements de terre en 1751 et 1771. Mais si, depuis lors, nous avions adopté des politiques publiques et des mesures respectueuses de l’environnement, des politiques économiques plus soucieuses de réduire les inégalités sociales que de satisfaire les exigences de certaines organisations internationales, le nombre des victimes aurait été beaucoup plus réduit. Nous aurions été moins pauvres et plus à même d’agir avant et après. Voilà une autre forme souvent oubliée d’inégalité sociale : l’inégalité entre le Nord et le Sud.

Un tel séisme survenant aux États-Unis, au Canada ou dans un autre pays riche aurait provoqué très peu de morts. « La mort aime bien les pauvres. » écrivait récemment un grand éditorialiste. Avant le 12 janvier, Haïti était déjà au bord d’une catastrophe sociale et économique que vient d’accélérer un désastre écologique. Souhaitons, qu’avec le soutien sans faille de la communauté internationale, nous arrivions à nous reconstruire et à en tirer les leçons pour l’avenir. Alors, cette hécatombe aura servi à quelque chose….

Érold Joseph
Février 2010

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