Agé de deux cent cinq ans, mesurant un centimètre, je n'ai pas bougé d'où j'ai pris naissance. Malgré l'effritement de ma carcasse servile, aucune lueur n'a su frayer les ténèbres de mon ignorance, et le mépris que je continue de subir tant chez moi que chez les voisins me condamne à rester un sous-homme.
Devenue une seconde nature, l'humiliation est ma raison de vivre aujourd'hui, comme hier, ma dignité était ma raison de mourir. La complaisance, mon état d'âme, ne font que resserrer mon cordon ombilical noué à la pauvreté. Dès ma naissance, je me suis dédoublé, et mes désirs de bien-être sillonnent les grands boulevards de la rêverie. J'ai détruit plutôt que construire ma vraie liberté de citoyen.
Les hommes que je suis devenu m'écartèlent sans répit pour une vaine gloire. En me négligeant, ils obtiennent satisfaction, à chacun son tour, mais au détriment de l'autre et surtout au mien. Le reste qui en pâtit aspire à la place du glorieux, et la convoitise qui alimente l'enjeu justifie les moyens de destitution d'où une éternelle méfiance de l'un et de l'autre, et la haine des semblables. Ils oublient que leur gloire ne peut être qu'un reflet de la mienne et sans la mienne la leur est dépourvue de sens.
Les hommes que je suis devenu ont perdu ma liberté chèrement acquise en la confondant à la gloire. Comme celle-ci les oblige à priver les autres de leur dignité, elle est sans valeur parce que ces derniers peuvent en faire autant en position de force, et vice versa dans un perpétuel conflit. Juste une question de temps ! Sans la liberté commune, il ne peut y avoir de liberté individuelle et celle-là peut être acquise quand chacun accepte de concéder une partie de son droit à l'autre. Pourtant les hommes que je suis devenu veulent tout pour eux, donc rendent irréalisable un accord dans la paix, l'harmonie et la justice, les trois éléments du bien-être commun et de chacun.
Les hommes que je suis devenu ont fait de leurs enfants des illuminés de la destruction. L'essence de leur activité est l'avilissement de l'autre à travers une guerre d'intrigues. Des artisans qui peuvent rapiécer le tissu déchiré deux ans après ma naissance, ils refusent d'être. En dépit de tout, il faut trouver l'aiguille dans une botte de foin, puis se procurer du fil de la toile d'araignée. Des administrateurs ils veulent tous être, mais souffrant de myopie, ils n'arrivent pas à percer l'horizon.
Incapables d'identifier le vrai problème et de se concerter pour en trouver la solution, les illuminés discourent sur de faux problèmes dont les solutions toutes faites sont pourvues par des extra-territoriaux. Qui pis est, la technicité de ces solutions est difficile à comprendre, voire l'assimiler. En fait, l'atrophie intellectuelle leur permet simplement d'ingurgiter les idées des autres sans les mâcher. Leur grand défi de toujours est de pouvoir générer des suggestions appropriées. Ils ont beau parler, beau écrire, mais juste pour le faire, passer à côté ou mystifier celui qui est de l'autre côté.
Les hommes illuminés que je suis devenu, le défi y est encore ! Qu'elles sont vos nouvelles idées pour résoudre mon problème ? Je n'ai pas besoin de palliatif pour atténuer les maux du moment, mais de vraies idées capables de tout changer. Etant conscient de la complexité des phénomènes sociaux, je ne peux espérer de solutions parfaites d'un coup. D'abord essayez d'identifier le vrai problème ! Les hommes que je suis devenu, qu'avez-vous fait de ma fierté ?
Jean Poincy
Mai 2009
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