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FÒK SA CHANJE

lundi 22 mars 2010

La perversité du contrat économique entre l’Etat et l’Université d’Etat d’Haïti


Introduction

L’incapacité de fournir des cadres devant servir le pays résume tous les problèmes de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) dont les activités académiques sont financées par l’Etat. En effet, suivant ce que rapporte le quotidien Le Nouvelliste No. 37776 via le texte Mémoire ou Calvaire du lundi 18 février 2008, seulement 17.8% de 20 900 jeunes ont bouclé leur licence. Si leurs études sont financées par l’Etat, peu importe le niveau de financement, c’est une transaction qui donne lieu à un contrat économique entre l’Etat et l’UEH. Celui-là place une commande pour des cadres qualifiés que l’université est dans l’obligation d’honorer en retour. En toute logique, un respect mutuel des termes du contrat y devrait émaner pour tout renouvellement de la commande. Donc, toute prestation négative de l’UEH ou tout refus de l’Etat de financer l’UEH déboucherait sur la résiliation du contrat. Pourtant, la réalité témoigne d’un service insatisfaisant fourni par l’université avec une tolérance absolue de la part de l’Etat. Cette regrettable circonstance engendre une déresponsabilisation simultanée où ils s’accusent l’un l’autre. Quand l’Etat justifie sa nonchalance par l’inertie académique de l’UEH, celle-ci rétorque pour dire que les fonds alloués sont insuffisants. S’il revenait à l’Etat de rappeler l’UEH à l’ordre, cette dernière devrait remettre en question son système de gouvernance au nom d’une gestion efficiente des ressources. Pendant que le vice-recteur à la recherche de l’UEH juge de gaspillage cette piètre performance (selon l’article), je vais plus loin pour évoquer comme cause une prise en charge inadéquate de l’académique. Je crois qu’avec une planification responsable et appropriée de l’académique aux besoins du pays, les moyens du bord permettraient à l’UEH de réaliser un minimum si elle souhaitait honorer la commande. Ce texte cherche à :

I : comprendre la nature perverse du rapport d’échange entre l’Etat et l’UEH ;
II : définir le cadre économique d’une telle relation ;
III : montrer comment la lenteur académique met l’UEH en échec ;
IV : énoncer deux hypothèses de sortie.

I : La perversité du rapport d’échange entre l’Etat et l’UEH

Aucune instance disposée à financer une activité le ferait, si elle n’y voyait pas son intérêt ; ni continuerait à le faire de bonne foi si son intérêt était lésé. Vu que celui de l’Etat est d’avoir un nombre de gradués avec diplômes en mains dans un délai imparti, la formation des cadres d’exportation faite par l’UEH avec le financement public est indigeste. De son côté, l’UEH qui espère un financement public de ses activités académiques pour être une université digne du nom, doit livrer la marchandise comme requis. Telle est la condition fondamentale pour pérenniser le rapport d’échange Etat-UEH, justifier l’exigence d’un taux de financement plus élevé, et garantir une coopération fructueuse au bénéfice du pays.

Pourtant il se pose, une anomalie depuis l’acquisition de l’indépendance de l’UEH en 1986. Les gradués avec diplômes en mains se font rares. Bien ou mal formés les jeunes cadres Ayitiens sont absorbés par le reste du monde. En conséquence, l’Etat livre la gestion du pays aux solutions des experts internationaux. Ne s’étant jamais conscientisée, depuis près d’une génération, l’UEH n’est jamais en mesure d’apporter une contre solution à celles importées, ni s’engage à comprendre les problèmes du pays pour apporter une solution appropriée. Le faire serait une initiative sensée qui légitimerait ses plaintes contre l’Etat en faveur d’une plus forte allocation budgétaire. Sinon, l’Etat est en droit de cesser de financer l’UEH.

II : Le cadre économique de la relation Etat-UEH

L’Etat et l’UEH sont deux parties avec des intérêts différents qui décident de coopérer pour faire avancer le pays. Leurs interactions étant assimilées à des transactions donnant-donnant, leur relation porte sur la gestion de leurs intérêts. Cette relation implique des interactions itératives susceptibles de perdurer ou de cesser suivant que l’engagement est respecté ou pas de part et d’autre. Telle est la nature du contrat dont la confiance repose sur le rapport d’un principal (le commanditaire), d’un agent et d’une activité à réaliser. L’Etat, qui est le principal, engage l’UEH comme agent pour réaliser l’activité de former des cadres au profit du pays.

De toute évidence, il fait confiance à l’UEH sur la base qu’elle est capable d’honorer sa promesse de livrer la marchandise comme requis par le contrat. Si dans un premier round, il n’y avait pas matière pouvant permettre au principal d’évaluer la capacité de l’agent, nécessairement les résultats d’un premier cycle d’études de 4 ou 5 ans devraient déterminer la survie d’un tel contrat. Pendant que les intérêts imbriqués des deux parties par des promesses rendaient possible le premier round, ce n’est plus le cas pour un deuxième. En effet, celui-ci est fonction du succès de l’agent à fournir des cadres au pays.

Reconnaissant que des intérêts divergents poussent l’Etat et l’UEH à entreprendre des transactions, il est clair qu’ils affichent un comportement orchestré par la possibilité de perpétuer le contrat au bénéfice du pays. Une telle perspective, qui fait appel à un arrangement institutionnel entre elles, doit prévoir des mécanismes de gouvernance pouvant garantir la satisfaction du principal, décourager le comportement décevant de l’agent, et réussir l’entreprise académique via une coopération rationnelle. Une structure de gouvernance à la fois correctrice et incitatrice serait de mise pour ficeler les entités à leurs responsabilités. Son absence porte l’agent à totalement faire abstraction de sa responsabilité, et rend impuissant le principal à revendiquer son dû. Malgré tout, l’agent accuse incessamment le principal de son manque d’engagement, parce qu’il ne finance pas assez les activités académiques.

Si le rapport de contrat tient bon entre le principal et l’agent, l’UEH doit être l’accusée et non l’Etat. Etant donné que l’agent n’a pas livré la marchandise depuis 1986, il est juste que le principal cesse de financer ses activités pour répondre à la logique des premier et deuxième rounds. L’ironie est que l’Etat continue de respecter son engagement, mais misérablement. L’UEH, privée d’une bonne conscience, patauge dans le cynisme absolu pour contribuer à l’échec de la société en conséquence. Elle n’a entrepris aucune démarche visant à aborder le problème afin de ressusciter son intégrité d’antan.

III : La lenteur académique

Si les problèmes de l’UEH sont expliqués par l’insuffisance ou l’absence de cadres qualifiés devant servir la nation, une démarche scientifique doit partir d’une telle problématique et de la nécessité de fournir au pays ces cadres requis par le contrat. Le comment faire viendrait par un tâtonnement rationnel. Pour divorcer d’avec ce qui ne marche pas, toute initiative qui ne réussit pas doit donner cours à d’autres jusqu’à ce que la bonne soit trouvée. Il ne sert à rien de procéder à des cérémonies de graduation sans diplômes qui simplement indiquent que les finissants ont bouclé leur cycle d’études de quatre ou cinq ans sans rendre leur mémoire ou projet de sortie. Comme, ceux-ci ont la latitude de réaliser ce travail quand ils le souhaitent après leur graduation, ils étirent le délai nettement au-delà d’une décennie près dans bien des cas.

Marquant la lenteur académique à l’UEH, ce saupoudrage défie l’entendement de l’universitaire. Si tout revient à l’exigence du mémoire, la différence faite sur le taux des gradués avec diplômes en mains entre les facultés qui optent pour ou contre le mémoire/projet de sortie est un indicateur réel d’une telle lenteur. Sur la totalité des gradués à l’UEH de 2003 à 2006, il revient de constater que seules les facultés où le mémoire n’est pas requis enregistrent un taux de gradués avec diplômes plus élevé que les autres qui font du mémoire une exigence. En effet, l’INAGHEI (particulièrement avec le département de sciences comptables), et la faculté de médecine et de pharmacie (FMP) sont en tête de liste. Respectivement, en 2003, 2004, 2005 et 2006, l’INAGHEI affiche 37%, 14%, 33% et 30% pendant que la FMP s’y accorde avec 28%, 40%, 22% et 32%. La faculté d’odontologie (FO) qui n’exige pas de mémoire suit le même courant que les deux facultés précitées avec un taux de gradués relativement élevé à 75% près des 25 étudiants qu’elle accueille environ par année.

Il est toutefois bon de noter que les autres départements de l’INAGHEI comme la gestion, l’administration publique et les sciences politiques pour lesquelles un mémoire ou trois mini-projets sont requis, le taux de gradués accuse un large écart par rapport au département de sciences comptables. Une telle particularité est la tendance au niveau des facultés qui optent pour le mémoire/projet de sortie. Il y a l’ENS, la FAMV, la FASCH, la FDS, la FDSE, la FE, la FLA et l’IERAH qui éprouvent beaucoup de peines à faire sortir des gradués avec diplômes en mains. Adoptant la pratique des certificats attestant la fin du cycle d’études sans mémoires, l’UEH fournit de moins en moins de cadres au pays.

IV : Les hypothèses de sortie

Cette observation porte à formuler deux hypothèses : 1) l’absence de mémoire dans toute l’UEH augmenterait le taux des gradués avec diplômes ; 2) une meilleure préparation faciliterait la remise des mémoires donc, l’augmentation des gradués avec diplômes. Si l’expérience de la FMP, de la FO, et de l’INAGHEI tend à supporter la première hypothèse, elle ne dit pas qu’il est impossible de boucler le cycle d’études avec un mémoire fini. Ce qui invalide la première hypothèse en terme de capacité académique. S’il faut terminer le cycle d’études avec mémoire la deuxième hypothèse est vraie. Voudrait-il dire que l’UEH doit inculquer les bonnes techniques de rédaction, d’analyse, de recherche aux étudiants et de traitement des informations ? Faudrait-il croire que leurs mémoires seraient réalisés au moment même de boucler leur cycle d’études, exactement dans 4 ou 5 ans ? L’UEH emboîterait-elle le pas des universités modernes qui reportent le mémoire au niveau post-gradué ? La pratique de rédaction de petits rapports de 5 à 20 pages pour chaque cours et depuis le début du cycle universitaire remplacerait-elle le mémoire si vraiment celui-ci est un calvaire comme fait remarquer le texte du quotidien dans le même numéro ?

Suivant la conception que se fait l’UEH du mémoire, la première ou la deuxième hypothèse serait adoptée. Si le mémoire est considéré comme une initiation à la recherche, il est absurde de l’imposer à tous, car beaucoup d’étudiants veulent investir le marché du travail tout de suite après le premier cycle d’études universitaire. Il est alors temps de l’approprier au cas de ceux qui en majorité ne sont pas intéressés à la recherche. L’UEH éviterait le gaspillage justement constaté par le vice-recteur à la recherche en temps et ressources des étudiants et professeurs, et d’elle-même. A ce titre, la deuxième démarche siérait mieux s’il s’agissait d’inculquer à tout le monde des techniques de communication écrites capables d’améliorer leur capacité d’analyses et de traitement des informations. Par contre, si le mémoire est considéré comme le seul travail de recherche d’envergure que peut produire l’UEH, faire du mémoire une exigence est compréhensible. Toutefois, ce serait injuste de le réclamer d’un étudiant du premier cycle, car c’est le travail d’un professeur/chercheur. N’ayant pas encore la maturité académique, et même avec une forte capacité d’analyse, l’étudiant de ce niveau ne peut en aucune façon produire un travail de recherche de calibre au point d’en vouloir faire une publication scientifique. Ce qui ferait défaut à un tel travail est le manque de maîtrise des connaissances déjà accumulées dans le domaine imputable à la gestion de l’académique. Il faut toutefois admettre qu’un travail original et conséquent de la part d’un étudiant est possible ; mais que peut-on en faire si ce n’est de cibler un tel étudiant pour l’accompagner et parfaire son intellect ?

Conclusion

Quand l’absence chronique d’un plan de développement et de gestion académiques pertinent taillé aux besoins de la société plonge tous les acteurs dans un tâtonnent irrationnel qui ne débouche sur aucune maîtrise des techniques de faire, il leur est impossible d’honorer la commande placée par l’Etat. Seulement en refocalisant les efforts et critiques sur les causes réelles de l’échec de l’UEH que le rapport Etat-UEH peut se faire en symbiose au bénéfice du pays. Ce faisant, les besoins académiques seraient mieux identifiés, les demandes de ressources stratégiquement formulées et justement honorées par l’Etat. Dans le cas contraire et avec les résultats actuels où l’agent ne peut pas répondre à son engagement comment celui-ci se donne-t-il le droit d’exiger du principal davantage de financements ? A cette question tout agent avec une bonne conscience doit fournir une réponse aux contribuables.


Jean Poincy
2008

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