Par Claude Carré du Forum:
[haiti_seisme_reconstruction]
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Je suis encore contraint dans cette chronique de porter mon regard sur l'actualité et délaisser encore une fois les problèmes fondamentaux de la reconstruction.
Dans ma chronique du 26 avril, je soutenais que René Préval avait « tétanisé » ses adversaires en envoyant des signaux contradictoires car « d'un côté il fait voter la loi d'urgence de 18 mois ce qui semble exclure la tenue d'élection au cours de la période, mais d'un autre côté il réitère à qui veut l'entendre sa volonté de partir à la fin de son mandat ». Toutefois sa proposition, soumise par devant le parlement –et acceptée, comme quoi si les élections ne pourraient avoir lieu au mois de novembre, il resterait au pouvoir au plus tard jusqu'au 11 mai 2011 (au lieu du 7 février comme le prévoit la constitution) ; semble avoir été le signal de trop qui a rompu le fragile équilibre et libéré l'opposition.
Cette « opposition », il faut le rappeler, a été muette pendant les quatre années du règne de Préval. Certains partis ont même participé au gouvernement (OPL-KID-Fusion-Lavalas …) d'autres (GRE, RDNP, KONBA…) ont par dépit, peut-être, et impuissance, surtout, brillé par leur immobilisme. D'autres enfin ont essayé maladroitement, à travers leurs membres présents au sénat et à la chambre des députés, de faire entendre leurs voix. Cependant ici en Haïti celui qui devient parlementaire se considère comme au-dessus de tout, fait à sa tête et s'en fou des consignes de « son parti ».
Il existe, à mon avis, trois raisons fondamentales qui expliquent la nouvelle attitude de l'opposition. La première c'est la perspective des élections à tous les niveaux devant avoir lieu cette année et à propos desquelles la bonne foi du président est, à tort ou à raison, mise en doute. La seconde c'est la question de la reconstruction elle-même à propos de laquelle ces partis ne jouent et ne tiendront aucun rôle. La troisième, c'est la faiblesse même de ces partis (mis à part peut-être le parti « Lavalas » - quoique rongé par la division) en ce qui a trait à leur capacité à rivaliser avec le parti de Préval sur le terrain électoral. Ainsi on assiste à des affublements impensables il y a quelque mois seulement où des Lavassiens et des GNBistes s'agglutinent contre Préval avec pour toile de fond le retour « physique du président Aristide » que même certains GNBistes seraient prêts (pour les besoins de la cause) à réclamer aussi.
Comme stratégie de mobilisation, ils s'appuient sur les conséquences du séisme et sur sa mauvaise gestion par le gouvernement. Ils pensent profiter des 1.8 millions de sans-abris, des écoliers et étudiants frustrés de ne pouvoir rentrer en classe et d'une grande partie de la classe moyenne ruinée ou en voie de l'être. Sans vouloir accuser personne, je signale des actes de sabotages et de vandalisme (tels les incendies de marché et d'entrepôts), l'insécurité, qui prennent une ampleur inhabituelle et contribuent à faire monter la tension et la déstabilisation, sans oublier les « crises » de carburant. Mais ce qui m'étonne surtout, c'est quand ils exigent la démission immédiate de Préval (sous forme d'ultimatum par-dessus le marché) pour lui apprendre à respecter … la durée de son mandat de cinq ans. A vrai dire, certains candidats (tels que Myrlande Mannigat et Charles Henry Baker) ont tenus, du bout des lèvres cependant, à se démarquer de cette absurde revendication de « rache manyòk » pour obtenir le respect de la … constitution.
Selon moi, Il n'existe pas beaucoup de signes tendant à prouver que cette mobilisation va s'amplifier. Malgré certaines démonstrations en province et dans la capitale accompagnées de distribution d'argent et de tentatives de déstabilisation des sans-abris pour les porter à gagner les rues (on a même eu droit à un défilé de militaires démobilisés et remobilisés pour la circonstance), la bataille menée par l'opposition manque, à mon avis, de ressort et d'allant pour plusieurs raisons. Premièrement, même quand Préval aurait pu vouloir prolonger son mandat ou reposer sa candidature à la présidence, la conjoncture internationale ne le lui permettrait pas. D'ailleurs rien ne prouve que l'opposition ne bénéficierait pas de certains « soutiens » d'une partie de cette communauté dans le but justement de signifier à Préval la futilité d'une démarche visant à le prolonger au pouvoir . Ainsi l'objectif de la mobilisation elle-même reviendrait à enfoncer une porte ouverte. Il ne faut pas oublier non plus que Préval est un expert en manœuvre de diversion . Il pourrait bien s'amuser ici à engager l'opposition sur une fausse piste (prolongation de mandat) pendant qu'il serait en train de structurer sa machine électorale, préparer ses candidats et collecter de l'argent pour les campagnes à venir. Deuxièmement, les revendications politiques qui exigent le retrait de Préval du pouvoir, même quand le président est très loin de faire l'unanimité dans la gestion de la crise, ne correspondent pas aux préoccupations actuelles des citoyens et encore moins des victimes du tremblement de terre du 12 janvier. Enfin, et ceci est pour moi fondamentale, alors que le pays n'a pas encore fini de compter ses cadavres, de penser ses plaies, alors que les décombres jonchent les rues et les perspectives de la reconstruction s'assombrissent, ce qui aurait du engendrer un vaste mouvement de mobilisation visant réellement la refondation du pays, on assiste de préférence à une bataille rangée pour le pouvoir, ou plutôt ce qu'il en reste.
Une simple analogie devrait permettre d'appréhender ce paradoxe : plus un bien est rare, en l'occurrence ici le pouvoir (car l'état s'est effondré et une commission mixte non-étatique est supposée prendre les commandes de la reconstruction) plus il prend de la valeur et excite la convoitise. Ou mieux encore : observez ce qui advient lorsqu'on lance un os décharné au milieu d'une meute de chiens affamés.
Ainsi tout ce branle-bas de combat ne présage rien de bon pour le pays. Nous sommes dans une situation pathétique et dramatique. Les vieux démons de la brouille, de l'appétence et de l'intérêt réduit se sont ragaillardis et ont pris le dessus.
19 mai 2010
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