D’une forme de gouvernement à une autre, comme de la
dictature à la démocratie, les problèmes d’hier restent ceux d’aujourd’hui.
Leur mauvaise gestion tend vers un mal endémique nourri par le complexe du
“Pouvoir à Moi Seul”, une résultante du rapport entre la conquête et la
conservation du pouvoir de l’Etat, techniquement absolu. Les sociétés, qui
contrôlent ce complexe, connaissent le progrès socio-économique. Pour celles
qui n’y arrivent pas, c’est la régression et la dégradation des conditions de
vie humaine ; le cas d’Ayiti symbolise ces dernières.
L’origine du complexe
Etant une création nécessaire de l’Homme, l’Etat sera là
autant que l’espèce humaine existe, parce que les circonstances liées à sa
naissance prennent racines dans les conflits inhérents à la coexistence des
hommes dans une communauté. En conséquence, adopter l’Etat comme outil de
gestion des affaires collectives implique coûte que coûte une possession et une
passation du pouvoir de l’Etat. Dans certains cas, cette démarche dévie l’Etat
de son champ d’action initial de créer des conditions permettant à chaque
individu de sa société de jouir sans crainte et en toute liberté, mais relativement,
de ce qui lui est dû. La quête et la conservation du pouvoir deviennent en
quelque sorte la finalité de l’Etat en semant la convoitise chez quiconque ;
d’où, le complexe.
Le besoin de
contrôle du complexe
Le complexe du “Pouvoir à Moi Seul” est absent dans les
sociétés optant pour une vie collective sans l’Etat. Cependant, si elles
jouissent d’une quelconque paix en administrant leurs affaires suivant leur
tradition, leurs conditions de vie restent précaires contrairement aux autres
sociétés avec l’Etat. Nombreuses sont celles-ci qui, victimes et conscientes de
cette tare naturelle de l’Etat, ont procédé au changement de la forme
administrative qu’il doit revêtir, pour essayer de maîtriser le complexe plutôt
que de l’éliminer. Etant donné que le pouvoir absolu, qui produit le complexe,
fait un avec l’Etat, son éradication effacerait automatiquement celui-ci. Ce
serait néfaste à la survie d’une communauté d’hommes. En effet, le caractère
indispensable de l’Etat offre seulement l’option de neutraliser le complexe.
Ayiti une société avec Etat a aussi tenté d’avoir ce contrôle, mais sans
succès ; un peu plus tard les séquelles du complexe reprennent leur
souffle, pour faire corps avec la démocratie comme une nouvelle forme
administrative.
L’impératif d’une forme de gouvernement appropriée
Il est facile d’imputer cet échec à un manque
d’application des principes constitutionnels pour asseoir la démocratie, et
aussi tentant de dire qu’une observation conforme de ces principes par les
autorités permettrait de redresser l’Etat dans ses responsabilités originelles.
Donc, obliger les détenteurs du pouvoir de l’Etat à s’y adhérer épargnerait à
la société le dilemme de repenser à une alternative, peut-être toute nouvelle
ou calquée sur d’autres formes déjà existantes. Nourrir ces lignes de pensée
émanerait de la paresse intellectuelle, parce que Ayiti demande une forme de
gouvernement appropriée pour concrètement neutraliser le complexe, car
l’extirper vaudrait dire éliminer l’Etat, un luxe qu’aucune société moderne ne
peut se permettre. Ceci dit, il faut vivre avec le complexe sans lui laisser la
marge de prendre le dessus. S’il y a persistance dans la forme de gouvernement
telle qu’elle existe, mais seulement avec le remplacement d’un gestionnaire
politique et une simple modification de certains principes de fonctionnement,
il est très probable que les problèmes resurgissent. Etant donné que le germe
du complexe est immortel et pernicieux, il importe de repenser à un appareil
d’Etat propre à Ayiti capable d’endormir le complexe indéfiniment tout en
gardant l’essence démocratique. La proposition est de se défaire du régime
présidentiel, et de remanier les systèmes parlementaire et judiciaire.
La défectuosité du régime présidentiel
Le régime présidentiel comme connu dans les sociétés
Etatisées tend à attribuer un pouvoir énorme à un seul individu qui même avec
des principes limitant son pouvoir incline vers une appropriation du “tout
pouvoir”. Porteur du germe du complexe, un tel système restera défectueux
dans une société dont la culture familiale et politique se repose sur le
pouvoir absolu d’un chef de famille et d’un chef d’Etat ; surtout, si la
pratique du fonctionnement et du respect des lois établies a toujours été une
forme pour se dire une société civilisée ou un moyen pour faire avancer
l’intérêt d’un individu ou d’un groupe.
L’introduction d’un système administratif avec deux
branches exécutives et un parlement avec deux chambres, comme obstruction à
toute appropriation du “tout pouvoir” par quiconque, est sans effet dans
une telle société. Le modus operandi de ce système est la majorité
représentative. En conséquence, il suffit à un président d’obtenir la majorité
au parlement pour faire valoir ses visions personnelles ou ses caprices. Là où
il n’a pas la majorité, la cohabitation au niveau de l’exécutif est difficile,
et faire fonctionner l’Etat est quasi-impossible. Un tel système ne fonctionne
bien que dans une société où il existe une certaine habitude du respect des
lois et où la culture politique laisse de l’espace à la tolérance. En Ayiti,
une société où prédomine un attachement viscéral à l’homme au pouvoir au
détriment de ces facteurs là, un président a les mains libres pour contrer
l’objectif de l’Etat.
Pour un système de gouvernement alternatif
Etant toujours fertiles pour faire fructifier le complexe,
les sociétés Etatisées sans la culture des lois rendent le système présidentiel
inapproprié. Si de la culture familiale et politique reposant sur le pouvoir
absolu d’un chef Ayiti devra s’affranchir, il nécessitera une nouvelle
constitution pour un système de gouvernement à trois unités où chacune
sera constituée d’un nombre de membres équivalant au nombre de départements que
comporte le pays, soit un représentant par département. Cependant, le
département où siégera le système en place ne devra être représenté en aucun
cas, parce que le corps gouvernemental s’y trouvera déjà. Etant donné que le
pays comporte 10 départements chaque conseil aura 9 membres.
La charpente du nouveau système
1- La
réalisation d’un tel système nécessitera l’abrogation de toutes les lois pour
repartir à neuf. Cependant, le processus de création de nouvelles lois devra
permettre la réintégration de certaines lois jugées favorables à une bonne
harmonie collective par le conseil législatif.
2- Une
provision constitutionnelle devra attribuer une espérance de vie à chaque loi.
Peu avant le terme d’une loi, il importera de la réviser pour déterminer les
possibilités de sa ré-adoption, ré-adaptation, modification ou sa mise hors
d’effet sur la conduite collective.
3- Des
principes constitutionnels déterminant les modalités relatives aux objectifs
fixés pour la société.
4- Les
deux axes de ces principes devront essentiellement tourner autour de la gestion
équitable des ressources économiques et de la formation politique répondant aux
demandes de cette gestion.
5- Un
“blue-print” du développement économique et politique que tout nouveau
gouvernement devra utiliser comme guide de fonctionnement. Dans ce cas, les
programmes de tout gouvernement futur devront être taillés sur ce patron
économique et politique.
6- Les
unités seront : le conseil exécutif, le conseil législatif et le conseil
judiciaire.
7- Le
conseil exécutif veillera à la bonne marche des affaires collectives.
8- Le
conseil législatif érigera des principes d’harmonisation de la collectivité.
9- Le
conseil judiciaire interprétera ces principes et s’assurera de leur observation
et exécution.
10- Aucun conseil ne
pourra choisir les membres d’un autre conseil. Cependant, un comité de sélection
provisoire tiendra lieu à cette fin après chaque investiture des membres du
conseil exécutif et législatif, pour créer le conseil judiciaire d’après les
propositions des partis politiques.
11- Au sein de chaque
conseil, les principes du processus décisionnel devront se reposer sur le
principe de vote de 2/3, si ce n’est l’unanimité. Nonobstant, si l’état des
choses est jugé urgent et que l’idée est de faciliter la prise des décisions,
la majorité simple pourra être adoptée sans l’apport du vote de celui présidant
le conseil, avec la réserve qu’il utilisera son droit de vote uniquement dans
les cas d’égalité des votes pour et contre en vue d’obtenir une majorité.
12- Chaque conseil
sera mandaté seulement pour 4 ans. Aucun renouvellement du mandat d’un membre
d’un conseil ne sera permis. Tous les quatre ans, il y aura l’investiture d’un
nouveau gouvernement.
13- Chaque conseil
maintiendra sa survie par l’auto-contrôle, le pouvoir de chaque membre sera
égal même quand un des membres présidera annuellement à tour de rôle son
conseil. Celui qui présidera doit être choisi par les membres du dit conseil.
Donc, un conseil n’en connaîtra que quatre au cours de son mandat.
14- Au début, le
choix des membres devra être indirect, en raison du choix émotionnel ou
irrationnel qu’un citoyen tend à faire. Après avoir atteint une certaine
maturité politique, un citoyen ordinaire sera apte à mieux évaluer et juger le
programme d’un candidat en fonction de ses intérêts ; lors, le choix direct pourra être envisagé.
15- Les membres des
conseils seront issus des partis politiques suivant leur performance électorale
dans leur département.
16- Tous les conseils
réunis formeront le gouvernement national.
17- Le système
national devra être le model à suivre par les administrations locales, mais avec
des nuances ou touches locales.
18- Il faudra régir
l’existence des partis politiques selon ces principes :
- sera parti politique tout rassemblement constitué à cette fin et qui aura nécessairement une présence dans chaque département ;
- pour obtenir le statut de parti politique, il devra exister un programme politique répondant au “blue-print” du développement économique et politique établi constitutionnellement ;
- quiconque pourra être membre d’un parti politique, mais tout représentant d’un parti politique appelé à devenir candidat pour un poste électif devra avoir une formation universitaire compète ;
- il ne pourra exister plus de quatre partis politiques dans le pays ;
- la coalition des petits partis sera préférable pour donner un grand parti.
Il n’y a aucune prétention de dire que cette proposition
est l’outil absolu de contrôle du complexe du “Pouvoir à Moi Seul”, mais elle
contient des éléments de remède au problème politique du pays. Comme idées
séminales, elle invite, les politiques à l’autocritique, les autorités à une
évaluation objective de la dégénérescence abyssale de la collectivité et les
penseurs politiques au débat alimentant leur développement pour un système
politique approprié en Ayiti.
Jean POINCY (2005)
caineve@yahoo.fr
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