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FÒK SA CHANJE

jeudi 10 juin 2010

FORENA : un besoin de regain d’autorité académique de l’Université d’Etat d’Haiti ?

Introduction

Il faut applaudir l’Université d’Etat d’Haiti (UEH) pour vouloir se prononcer sur les affaires du pays. Le Forum sur la Reconstruction Nationale (FORENA) d’Ayiti est louable et exprime son besoin de regain d’autorité académique perdue depuis qu’elle est consacrée pilote de l’enseignement supérieur. Ce ne sont plus les plaintes gratuites accusant l’indifférence de l’Etat à son égard, mais plutôt un comportement engageant face aux attributions inhérentes à sa fonction naturelle d’université d’appréhender la complexité du vivre-ensemble, et à celles faites par la constitution de 1987 pour mener la barque. Faut-il penser à une résignation de travailler avec les moyens du bord pour montrer sa capacité créatrice de connaissances, ou simplement pour justifier ses exigences financières auprès de l’Etat ? Soit ! De toutes les entités publiques, elle est mieux placée pour réfléchir et proposer une sortie du post-désastre. En dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, son apport à la préparation des citoyens du pays depuis des générations est considérable. Même avec sa récente décadence, elle conserve toujours le droit de se relever pour garder la tête du peloton. Le désastre du 12 janvier lui offre cette opportunité et elle en profite. Portant un jugement sur la ‘practicalité’ du FORENA, ce texte :

1- rappelle le comportement rationnel face à l’urgence ;
2- signale la nécessité de partager les résultats d’une recherche ;
3- évoque les conditions de production de ces résultats ;
4- attire l’attention sur l’absence d’identité académique de l’UEH dans le FORENA ;
5- présente la nature du FORENA ;
6- montre que l’opportunité d’affirmer son autorité académique est ratée.

Pour conclure, il fait appel à une vision propre de l’UEH pour qu’elle puisse se retrouver.

1 : Le comportement rationnel face à l’urgence

En appuyant cette noble démarche, il convient de questionner sa ‘practicalité’. Dans un état d’urgence, les solutions de sortie sont souvent spontanées ou produites dans un temps minimal de réflexions pour assurer leur justesse. Considérant l’obligation faite par la circonstance et la courte échéance pour produire un résultat positif, aucune proposition ne peut embrasser toutes les dimensions d’un problème, ni être mise à exécution dans son intégralité avec succès. En toute logique, il faut des propositions ciblées relativement efficaces pour des résultats immédiats relativement satisfaisants. Toute tentative de tout couvrir risque de négliger l’immédiat au profit d’un distant futur et incertain. Le hic est la disponibilité des ressources de tout genre, le caractère graduel d’un processus générateur de solutions, et le temps nécessaire pour les accoucher, les exécuter, évaluer leur succès et les corriger s’il y a lieu pour de nouvelles tentatives. Telle est une méthode rationnelle et pratique faisant du tâtonnement son essence. D’une manière ou d’une autre c’est une quête de solution handicapée par le temps.

2 : Partager les trouvailles d’une recherche

Si le propre de la recherche scientifique est de mieux comprendre, et expliquer les phénomènes de société pour améliorer les conditions humaines, les trouvailles qui en résultent doivent être partagées. Via un organe scientifique de diffusion, les auteurs ont le devoir de présenter leurs observations, évaluations et propositions répondant à une situation quelconque. Cela peut être suivi de colloques, de conférences et de débats. C’est pourquoi, tout acte du genre doit être accompagné d’un texte académique entérinant les résultats d’une recherche. Il est question alors de présenter pour nourrir le débat autour d’un sujet. Naturellement, un colloque ou une conférence est initié non pour rechercher les idées, ressasser les déjà-dits, ou exposer l’histoire des choses, mais pour présenter une position sur un thème spécifique, une nouvelle manière de voir ou une proposition. En effet, les colloques et conférences sont des véhicules de soutien facilitant une plus large transmission des trouvailles, des nouvelles idées, des positions ou propositions. En faire d’eux une génératrice d’idées ou de propositions est inapproprié et peut ne pas produire l’effet escompté.

3 : Conditions de production des trouvailles

Cela étant dit, une université ou un centre de recherche possède une équipe de recherche qui lui est propre capable de conduire des recherches suivant son centre d’intérêt et sur des thèmes spécifiques. Par la simple curiosité de comprendre pour expliquer, ou sur demande spécifique, les chercheurs se mettent à la tâche pour générer de nouvelles idées. Toutefois, il est possible de trouver plusieurs universités ou centres de recherche évoluant dans un même champ avec peut-être des mécanismes ou objectifs différents pour aboutir à des résultats compétitifs. Un tel contexte est dynamique et fertile au développement des connaissances meilleures que d’autres. Qu’il s’agisse d’une même cause, ce contexte compétitif est primordial au saut académique que doivent faire les différentes entités impliquées dans un processus de recherche. Avec un canal de diffusion propre, et la tenue des colloques et conférences respectifs à chaque, la transmission est faite au grand public. Le cas où des chercheurs de différentes institutions y prennent part c’est pour corroborer ou réfuter les trouvailles des uns et des autres. Pendant que les différents courants effectuent un travail indépendant l’un de l’autre, le dénominateur commun est l’alimentation des débats entre différents points de vue autour d’une même cause.

4 : L’absence d’identité académique du FORENA

N’en déplaise aux initiateurs, l’inquiétude est sa ‘practicalité’. En est-il encore un autre, cette fois-ci, pour faire taire les critiques attribuées à la passivité de l’UEH ou pour une réaffirmation de sa position de pilote de l’enseignement supérieur dans les affaires du pays ? La critique dirigée contre cette initiative est l’absence d’identité académique de l’UEH, une université à part entière avec ses propres unités de recherche. Il ne suffit pas de rassembler les ‘icônes académiques’ du pays pour se féliciter d’un mouvement ou d’une tendance sur une cause commune. Il est fort douteux que les intervenants, n’étant pas membres académiques de l’UEH, puissent faire ressortir la vision de l’UEH sur la reconstruction du pays et proposer une ligne directrice de reconstruction qui peut refaire son autorité académique. En l’occurrence, le professeur Leslie Francois Manigat, MM. Himmler Rébu et Rosny Desroches avec un profil politique différent, même quand le thème de leur intervention est modelé en la circonstance, devraient pouvoir présenter la vision de leur appartenance politique qui ne coïncide aucunement à celle de l’UEH. Encore, une opportunité ratée pour l’UEH de réaffirmer son autorité académique.

5 : La nature du FORENA

Cette critique perdrait tout son sens, s’il s’agissait d’un forum avec l’objectif de corroborer ou de réfuter les trouvailles des uns et des autres. Ce n’est nullement la diffusion des résultats compétitifs issus des recherches divergentes ni communes autour d’une même cause. Il est ce que dit la note officielle : un “…forum sur la Reconstruction Nationale (qui) se veut un espace de réflexions, de discussions, de débats et de propositions sur la Reconstruction d’Haïti après le séisme du 12 janvier 2010. Il se propose de susciter un débat scientifique sur l’avenir de la nation et les grands enjeux de l’heure…(et)…sera consacré essentiellement à la présentation, l’analyse et la discussion des différentes visions et stratégies proposées à la nation par divers secteurs dont le gouvernement, le secteur privé, des partis et associations politiques et civiques d’Haïti et de sa diaspora…”

En jouant le rôle d’arbitre, l’UEH porte l’espoir de création de connaissances à partir du FORENA axé sur les travaux réalisés en atelier dont les rapports sont toujours communiqués en séance plénière. Cela sous-entend une certaine démocratisation du processus qui, en demandant la participation de tout le monde, devient démagogique, ineffectif et confus. Les rapports en atelier ne sont pratiques que dans un contexte d’apprentissage ou de travail nécessitant la collaboration des membres d’un groupe, dépendant de sa nature. S’agit-il de création de connaissances, ils sont nettement inappropriés, car le recul d’un chercheur ou d’un groupe de chercheurs dont les tâches sont partagées est une condition première à un environnement propice à la réflexion pour un travail de conception. Le contact avec le grand public n’est repris que par la diffusion des trouvailles à travers un organe scientifique, un symposium, un colloque ou une conférence.

6 : L’opportunité ratée de l’UEH d’affirmer son autorité académique

C’est le droit de l’UEH d’organiser un forum impliquant des intervenants venant des horizons différents, mais le faire pour simplement analyser ou évaluer les travaux des autres en atelier dans un colloque ne met pas l’UEH en position de générer sa propre connaissance sur le problème. Toutefois, il est toujours possible sur demande des auteurs avant la publication ou selon le gré de l’UEH pour prendre une position contre. Pendant que le premier scénario démontrerait le niveau d’expertise de l’UEH dans un domaine, le second, sous forme de critique, confirmerait sa capacité génératrice d’alternatives. Concrètement, les deux offriraient l’opportunité à l’UEH de contribuer au processus et du même train regagner son autorité académique. Tout cela se ferait isolément dans les laboratoires de recherche de l’UEH. Ce qui suppose une condition de départ, avoir des équipes de recherche et l’infrastructure requise pour s’y lancer.

En se donnant la peine de rassembler des non-membres en provenance de tous les secteurs du pays avec des visions différentes autour d’une même cause pour couvrir huit axes thématiques tels : le politique, l’économique, le social, l’éducatif, le culturel, le territorial, le scientifique et l’environnemental, l’UEH expose sa pauvreté structurelle pour conduire des recherches à partir de ses unités académiques. En effet, tous les intervenants devraient être exclusivement des membres académiques/chercheurs attachés à l’UEH et obligés à produire des réflexions relatives aux conditions du pays et propres à l’UEH. Impliquer les Editions de l’UEH pour une publication éventuelle des actes du FORENA n’est point un indicateur d’appropriation des trouvailles.

N’ayant pas une politique de recrutement d’enseignants-chercheurs en permanence pour non seulement enseigner et/ou entreprendre des travaux de recherche, l’UEH souffre d’une carence d’un corps de chercheurs. Une déficience qui l’oblige à faire appel aux non-membres ‘icônes académiques’ de toujours pour lui apporter un degré d’autorité académique ou valider son initiative vis-à-vis de ses critiques. Incapable de jouer efficacement son rôle d’université de création et de transmission de connaissances, elle cherche sa légitimité en s’érigeant comme un arbitre rassembleur de tous les secteurs académiques et non académiques, pour produire de nouvelles connaissances. Ne devant pas réduire son rôle à une simple question d’organisation de colloques, ni se transformer en une agence de collecte d’actes de colloques, cette stratégie ne peut pas l’aider à retrouver l’autorité académique recherchée.

Conclusion : pour une vision propre à l’UEH

Il importe de définir clairement la vision de l’UEH relative à la reconstruction du pays tout en s’organisant avec les moyens du bord. S’il est connu de tous que les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous, il faut bien adopter une stratégie académique modeste pour faire preuve d’efficience et de sagesse académiques. Bien que la responsabilité attribuée à l’UEH par la constitution soit lourde et compte tenu de l’ensemble des problèmes du pays à adresser, si l’UEH reconnait ses limites en ressources, elle n’a pas à éprouver de remords pour se retrouver sur tous les fronts. Ce sont des problèmes qui demandent une planification sur le temps, si les recherches doivent être sérieuses et les trouvailles conséquentes. Ce ne sont pas des réflexions à produire suite à une invitation d’hier pour une présentation de demain. Ce n’est pas non plus une nécessité de tout couvrir, car parler de tout c’est parler de rien du tout.

Par faute de ressources, il suffit de déterminer un domaine qui peut faire ressortir la force de l’UEH, et de choisir le département y respectif pour canaliser les ressources disponibles permettant à l’UEH de produire des résultats conséquents dans le temps qu’il faut, présenter ses trouvailles au grand public soit à travers une publication scientifique, puis disséminer le contenu via un symposium, un colloque, une conférence ou un débat public. L’UEH ne manque pas d’enseignants-chercheurs aptes à produire des réflexions sur les affaires du pays. Il est temps de les organiser, stimuler leurs intérêts et mettre en branle la compétition académique entre les différentes universités ou centres de recherche du pays. Les ressources allouées à la réalisation du FORENA auraient pu être mieux utilisées dans la mise en place d’un centre de documentation basique relativement moderne pouvant faciliter les recherches documentaires au sein des unités de recherche logées dans différentes facultés. Comme FORENA est un lancement, il faut s’attendre éventuellement à d’autres.

Faire appel à des non-membres avec une ligne directrice de recherche différente dans le cas du FORENA pour faire parler tout le monde risque de faire parler personne et invalide son effort de réaffirmation d’autorité académique de l’UEH. Un tel mélange est à éviter dans le futur, pour faciliter la compétition académique autour d’une même cause. Les non-membres doivent s’évertuer à produire leurs propres réflexions communes ou pas à celles de l’UEH dans leurs propres institutions aux fins de se rencontrer après sur une même table soit pour corroborer ou réfuter leurs trouvailles. Après tout, la grandeur d’une université ne vient-elle pas des travaux conséquents effectués par ses propres membres ou en collaboration déclarée avec d’autres du même circuit, à partir d’une compétition. L’UEH doit se retrouver autrement. Pour ce qu’il en est, un résultat positif est souhaitable pour que ce premier événement ne tombe pas dans les annales du showbiz académique.

Jean Poincy
Juin 2010

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