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FÒK SA CHANJE

mercredi 2 juin 2010

Le dilemme de la corruption en Ayiti

Avertissement

Si aujourd’hui, le doute plane encore sur les promesses fermes de la communauté internationale pour la reconstruction du pays après le séisme du 12 janvier 2010, la corruption en est coupable. En effet, selon les septiques, le gouvernement n’inspire pas confiance dans la gestion des fonds mis à sa disposition. L'inquiétude collective assortie des récents scandales au sein du Conseil Electoral Provisoire (CEP) invite à reprendre le texte en-dessous pour tenter de comprendre et mieux définir le phénomène de corruption en Ayiti.

Corruption ! Corruption ! Corruption ! Tel est le tintamarre politique, économique et social du pays aujourd’hui. Elle fait la une des émissions de radio et nourrit les colloques du secteur privé pendant que le gouvernement en fait son cheval de bataille. Tout pour dire : c’est assez ! On dirait un réveil en sursaut d’une nuit cauchemardesque des non-corrompus et des incorruptibles dormants ! C’est, peut-être, une façon de célébrer la médaille décrochée par Ayiti classée dans la course à la corruption ‘…parmi les cinq pays…les plus corrompus au monde…’ Un tel état de chose, pousse le représentant de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), M Amos Durosiers à se demander si nous sommes ‘…un cas perdu…’ (Le Nouvelliste No 37373, 19-23 avril 2006). Est-ce une mauvaise conscience de la complaisance de tous dans la corruption ? Est-ce encore l’effervescence habituelle de nos émotions en constante ébullition ? Dans l’esprit de combattre la corruption, celle-ci est soupçonnée d’être la source de pauvreté en Ayiti. En fait écho, via le quotidien Le Nouvelliste No. 37093, 14 février 2005, un article intitulé : “ Plaidoyer pour la recherche de liens entre corruption et pauvreté en Haïti”.

Ce qui vaut ma réaction à cet article est le cri d’alarme de vouloir rendre la corruption responsable de notre pauvreté. Pendant que je suis enclin à comprendre le problème de pauvreté, j’hésite à seconder l’accusation comme formulée sans tenter d’appréhender théoriquement les dessous du phénomène de corruption. Loin de me laisser guider par mon instinct grégaire, j’ouvre une fenêtre d’inquisition sur la corruption en tant que telle pour mieux la situer dans notre contexte du vivre-ensemble. Dans cette perspective, ce texte :
  1. Fait une analyse succincte de la ‘plaidoirie’ ;
  2. Propose une réflexion pragmatique de la corruption ;
  3. Esquisse les contours de la corruption en Ayiti.
1 : Analyse de la ‘plaidoirie’

A comprendre l’appel, il existe par le biais de notre mentalité une corrélation positive entre la pauvreté et la corruption en Ayiti. Si le pays se donne comme objectif de résoudre le problème de pauvreté via l’amélioration de l’éducation, des meilleures politiques économiques etc., sans exposer la corruption comme la variable causale tous les efforts seront vains. Depuis la naissance du pays, la corruption est érigée comme un système qui fait rouler la machine dans le mauvais sens. Elle imprègne toutes catégories sociales confondues qui confirment une absorption collective par ces clichés : ‘Degaje pa peche’ et ‘Voler l’Etat n’est pas voler’. Ceci dit, autant que ce corrélat est ignoré, le problème de pauvreté ne sera jamais résolu. En conséquence, tout combat réussi contre la corruption entraînera une baisse automatique de la pauvreté. C’est une assertion qui fragilise l’appel à la recherche de liens entre la pauvreté et ses causes. En effet, il trouverait sa justesse dans une recherche permettant de mieux comprendre le phénomène de corruption pour mieux le gérer.

Approche démagogique contre la corruption

Si le tohu-bohu contre la corruption n’est pas un mea-culpa collectif, il accuse une contradiction criante. Il est à percevoir un comportement hypocrite vis-à-vis de ce qui a fait le bien-être de tant d’ayitiens directement ou indirectement. Tout compte fait, Ayiti peut enfin commencer l’inventaire des ‘fripons devenus honnêtes gens’ comme dans ‘La fable des abeilles’ de Benard Mandeville. Les nouvelles résolutions ou dispositions pour saper la corruption dans le pays ne sont que des élans illusoires. Dire que la corruption fait obstacle au développement et qu’elle est la cause même de la pauvreté du pays n’est qu’un faux fuyant. Le problème du pays étant encore mal abordé, l’évaporation de nouvelles ressources dans la quête du vide ne sera pas étonnante. Concrètement, l’idée serait de chercher à savoir comment traiter la corruption selon le contexte d’une collectivité et trouver un accommodement approprié ? Une telle approche commande une définition de la corruption.

2 : Une réflexion pragmatique sur la corruption

Imputer à la corruption tous les maux du pays, et dire qu’elle imprègne la société dès sa naissance et que rien ne se réalise sans elle, demandent à définir le terme. Est corruption tout ce qui se fait en dehors des principes établis duquel les parties impliquées tirent un bénéfice. Rares sont les ayitiens qui n’ont jamais vécu une telle situation. Directement ou par voie intermédiaire, ils s’y accordent. La nécessité de satisfaire un besoin mariée au manque de richesse dans le pays rend fertile le terrain de ‘se faire faire une chose’ en court-circuit pour une rétribution quelconque. C’est donc la manière rationnelle de l’Ayitien de vivre. En fait, c’est la manière humaine de survivre.

L’essence de la corruption

Au lieu de se froncer les sourcils, il est mieux de se libérer des émotions, pour objectivement réfléchir sur l’essence de la corruption. Celle-ci est fonction de l’intérêt individuel visant à assurer ou maximiser son bien-être. Tout individu rationnel agit pour satisfaire ses intérêts. Celui dont l’intérêt va être lésé déploiera tous ses tentacules pour renverser la situation en sa faveur. Dépendant du niveau d’équité des principes d’interaction, son comportement peut être préventif ou réactionnaire. Le comportement préventif permet d’assurer le bien-être en court-circuitant le système. Le comportement réactionnaire exprime un état insatisfait, car ne pouvant pas ou ne voulant pas court-circuiter le système, l’individu en pâtit parce qu’il est livré à lui seul. Qui aurait aimé vivre le deuxième scénario ? La tendance rationnelle oblige le comportement préventif parce qu’il fait obstruction à une injustice causée par le système ; mais selon la définition, c’est un acte corrompu. Ne faut-il pas dans ce cas modifier la première définition pour dire que la corruption est tout ce qui se fait avec des externalités positives ou négatives en dehors des principes établis duquel les parties impliquées tirent un bénéfice ?

Le dilemme de la corruption

Cette nouvelle définition sous-entend un double aspect de la corruption : le positif et le négatif. Ceci implique un dilemme quand un acte visant à endiguer l’injustice dans une société oblige une bifurcation des principes de fonctionnement du système. Suivant l’acception du terme, il n’est autre qu’une manifestation de la corruption. Etant donné que la corruption doit être éradiquée, la société laissera perdurer l’injustice dont le coût social est beaucoup plus élevé que celui de l’acte de corruption. Au nom de l’impératif catégorique, cet acte, qui court-circuite le système pour prévenir une injustice et faciliter le bien-être, est moralement correct, bien qu’il courtise la corruption. De cet acte, dirait-on noble, émane la corruption positive. Toutefois, si simultanément un autre individu est empêché de réaliser son bien-être dans le processus sans l’existence d’un système de réparation, l’intention positive fait germer la corruption négative. Que dire du cas suivant ? Il est prévu de réaliser un mini-centre sportif pour un montant de 20000 dollars. L’agent contracté a réalisé le projet comme convenu et à la satisfaction du principal, celui qui a placé la commande, mais pour un montant de 10000 dollars. Il importe peu comment celui-là a économisé la différence qu’il s’est appropriée à l’insu de tous, soit pour mettre en place un système d’irrigation dans sa ville natale ou pour y faire la bamboula. Comment juger son acte quand chaque activité offre le potentiel de relativement améliorer les conditions de vie dans ladite communauté ?

Un cas concret aujourd'hui est celui du conseiller électoral Jean Enel Désir, représentant de l'Eglise Catholique au sein du CEP: Il est accusé d'avoir "confisqué et encaissé à maintes reprises les chèques de deux employés affectés à son bureau. L'incriminé reconnaît que « c'était une erreur administrative de n'avoir pas assuré le suivi légal [à ce sujet]. (...) Quand le chèque est arrivé, la marche logique, administrative des choses était de le retourner à la comptabilité, puis demander d'émettre un autre à sa place ». Ce qui n'a pas été fait. « Je sais que c'est grave », admet-il, expliquant qu'il a décidé de récupérer le salaire de ces employés en faisant deux chèques de direction pour la « marche » de son bureau qui aurait fait face à des difficultés financières en raison de la réduction de son budget. « J'avais pris cette décision non pas dans le sens de frauder, mais pour permettre la bonne marche du service », dit-il, se demandant quelle corruption peut-il y avoir autour de quelques milliers de gourdes. Il fait remarquer que les autres conseillers électoraux, « s'ils n'étaient pas amadoués », pourraient être également à sa place."

La propriété omniforme de la corruption

Dans cet ordre d’idées, une position pragmatique et non démagogique demanderait à tracer la ligne de démarcation entre la positivité et la négativité de la corruption afin de déterminer ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas dans une société. Cette approche invite à accepter la rude réalité que la corruption est inhérente au vivre-ensemble pour le partage des ressources rares en vue d’une meilleure condition de vie individuelle. Une telle objectivité permettra de comprendre que la corruption comme définie plus haut est de nature humaine et qu’elle y sera autant que les hommes existent et vivent en société. En conséquence, ce serait un effort de Sisyphe de vouloir la soustraire d’une société. Le faire n’ôterait pas cette propriété ‘ominiforme’ qui lui permettrait de revenir et d’épouser la courbe de l’évolution de la société.

Le réel de la corruption

N’est-ce pas pourquoi dans différentes sociétés ce qui était considéré comme correct dans le temps ne l’est plus et ce qui était incorrect est accepté aujourd’hui. Par exemple au Japon, il était de coutume que les hommes d’Etat reçoivent des présents des individus privés, mais aujourd’hui cet acte est inacceptable et a valu la démission de certains hommes publics. Aux Etats-Unis, le marchandage de votes perçu comme un acte de corruption était inadmissible dans le temps. Aujourd’hui, il est accepté et pratiqué par les hommes de loi dans la chambre pour faire passer un projet de lois ou exécuter des projets de société. Il y a marchandage de votes ou ‘log-rolling’ quand un représentant cherche le vote d’un autre pour faire passer son programme avec la promesse de donner le sien en récompense quand l’autre en a besoin. C’est un artifice qui facilite le processus de décision et permet une allocation efficiente des ressources dans l’équité.

Il ne s’agit pas simplement d’engager un censeur de corruption. Il importe plutôt de mettre sur pied un système régulateur, capable d’une part de prévoir les éventuelles externalités négatives, de minimiser leurs effets ou de réparer leurs dommages dans un contexte de corruption positive. D’autre part, de concevoir une grille de coûts et bénéfices des alternatives dans une quête de bien-être, pour déterminer ce qui est tolérable au cas par cas ; et parallèlement de concevoir un système répressif afin de sanctionner sévèrement l’intolérable qui est la corruption négative.

3 : Esquisse des contours de la corruption en Ayiti

C’est un peu léger de rendre la corruption coupable de la misère noire d’Ayiti sans faire cette distinction, ni évoquer que l’incertitude collective propulse le pays dans un tourbillon d’actions individuelles non coordonnées. Les individus préoccupés d’assurer le présent et de garantir le futur dans un pays producteur d’externalités négatives et d’injustices, et non créateur de richesses, produisent nécessairement un bouillon de corruption positive et négative. N’étant pas sûrs d’une jouissance future, ils se dédoublent pour tirer un surplus de bénéfices d’une opportunité présente pour l’assurer. La crainte de ne pas réussir le futur nourrit chez l’individu l’idée que tout tourne autour de lui dans le présent. Dans une atmosphère de jungle obligeant la voie unique de la corruption négative, toujours court-circuiter le système devient le comportement typique de l’Ayitien tant dans le secteur public que privé. Ce qui ne produit que des externalités négatives affectant les autres ou la collectivité.

Un état sensible à la corruption

L’incapacité du peuple d’organiser les ressources rares disponibles pour produire la richesse capable de satisfaire les besoins de chacun donne lieu à un faible ou une absence de revenu qui à son tour alimente l’incertitude collective. En effet, réduit à n’assurer que sa survie et celle de ses proches, l’Ayitien s’étire et se déchire en quatre pour ne pas être victime des externalités ou de l’injustice du système. Du même train, le trou noir du monde informel se forme pour absorber tous ceux qui n’ont d’autres moyens que la ruse pour survivre. Court-circuitant ainsi les principes de fonctionnement du système de la société, ils tombent tous dans la corruption. Objectivement, où est le mal dans la défense de son droit naturel d’existence ?

Les indispensables marginaux

Le petit commerçant et le ‘raquetteur’ sortent des normes pour défendre leur droit naturel d’existence et commettent un acte de corruption positive. Qu’adviendrait-il d’eux s’ils suivaient le courant d’un système créateur d’injustices et d’externalités négatives ? Le pays comme non producteur de richesse, survivrait-il sans ces agents marginaux qui, dans leur quête de se protéger contre l’injustice du système, s’engagent à contre courant pour se réaliser ? En réalité, le sens donné à la corruption fait d’eux des corrompus ; cependant, ils allègent le fardeau de l’Etat impotent en se constituant comme soupape de sécurité de la nation.

Un défi à relever

Si le pays arrive à éliminer la corruption sans discrimination, la pauvreté y sévira davantage. Cela reviendrait aussi à se défaire du secteur informel et des ‘raquetteurs’. En conséquence, beaucoup de familles Ayitiennes ne pourront plus subvenir aux besoins les plus fondamentaux de leurs membres. Dans tous les cas, c’est un défi à relever. Il ne faut pas se leurrer ! Autant que les hommes continuent à vivre en collectivité, il y aura toujours la corruption. C’est ce qui rend absurde et démagogique toute déclaration de guerre contre elle. Il existe un petit corrupteur dormant en chacun de nous et qui attend le moment opportun pour se réveiller. En effet, qui honnêtement n’a jamais été en proie à une situation de corruption directement ou indirectement et n’a jamais été tenté ?

Donc, la lutte contre la corruption est loin d’être, comme l’entend M Durosiers, purement une stratégie de renforcement des institutions, une production d’informations financières et comptables cohérentes et fiables, et le renforcement des entités de contrôle comme la cour des comptes, l’UCREF et autres (Le Nouvelliste No 37373). Aussi fort que puisse être un système anti-corruption, aussi transparente que puissent être les transactions entre l’Etat et le privé, et entre les privés, la corruption prendra d’autres formes. Telle est sa propriété omniforme qui s’allie bien avec l’égoïsme de tout individu maximisateur de ses avantages. La réalité est que malgré toute transparence, ceux qui connaissent bien une fonction savent comment déjouer les principes. Tout dépend du niveau d’éthique de l’individu. Plutôt, l’accent doit être plutôt mis sur le caractère moral à inculquer chez tout citoyen dès son jeune âge ou son premier rapport avec les autres. Même là encore, il est impossible de tout éradiquer, parce que le comportement de chacun est imprévisible.

Les préceptes d’une approche pragmatique

Cette réaction ne demande pas une éradication de la corruption parce qu’il est impossible de le faire. Elle n’est pas non plus une défense de la corruption, car certains actes corrompus, dits négatifs, peuvent rendre malade une société. Elle est plutôt une invitation à soupeser la corruption comme un phénomène de société, puisque toujours, elle y a été, y est et y sera. Dans les initiatives de lutte contre la corruption, il faut éviter tout élan zélé. Il ne s’agit point de jouer au citoyen probe, mais de réfléchir sur les actes à poser pour des résultats positifs au bénéfice de l’individu et de la collectivité, et pour atténuer les résultats négatifs. Dans ce cas, il serait sage de gérer la corruption par une approche pragmatique qui consiste en :
  • la reconnaissance de l’immortalité du phénomène ;
  • la nécessité de faire une décantation de sa nature positive et négative ;
  • la conception d’une mesure de tolérance du positif et du rejet du négatif ;
  • la création d’un système de chance égale pour tous de jouir de ce qui est dû, et d’un processus neutralisant le favoritisme et encourageant la concurrence, afin de permettre à quiconque de se réaliser ;
  • l’obligation de s’accoutumer à suivre le courant sans crainte d’être une victime livrée à son sort ;
  • l’enseignement d’éthique approprié à tous les niveaux d’étude.
Reconnaissant qu’il n’existe de société-zéro-corruption, celles les moins corrompues acceptent le fait et ne font que neutraliser ou minimiser les effets négatifs des comportements de l’un sur l’autre sans pouvoir faire disparaître la corruption en tant que telle. Pourquoi nous marteler à faire des choses impossibles et ne pas reconsidérer notre approche pour réduire nos coûts d’actions ?

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