Cadre de réflexion
Toute période chaotique
dans l'histoire d'un peuple débouche souvent sur la nécessité de restructurer la collectivité par la réforme
de ses institutions politiques. Repartant de l'origine, l'outil idéal de ce
processus est une constitution politique capable d'offrir à la société
concernée l'opportunité de devenir équitable et prospère. Donc, son échafaudage
exige une approche rationnelle de la part des concepteurs qui tentent de
maximiser leur utilité et celle de leurs constituants. Etant une résolution
volontaire, elle répond à un besoin d'harmonie collective en prenant au niveau
conceptuel une allure générale sur les formes nouvelles escomptées. Dénuée de
spécificité, elle accorde à chacun une chance égale d'être affecté positivement
ou négativement par ses provisions. En effet, nul n’est sûr de son rôle futur
dans l’évolution de la société. Ce trait assure sa viabilité, sa validité, son
efficacité et sa longévité. Dans le cas contraire, elle devient provisoire en
prenant un cours cyclique voué à une instabilité politique chronique. A tour de
rôle, chaque gouvernement subséquent peut s'octroyer le droit de la retailler
en sa faveur. En conséquence, la société restera injuste et pauvre jusqu'au moment
où un groupe conscient décide de se comporter autrement en rendant la
constitution une pour tous. Cette discussion se porte sur l’essence d’une bonne
constitution, la nature contraire de celles d’Ayiti et de l’esprit d’une bonne
constitution.
I : L'essence d'une bonne constitution
La nécessité de recourir
à une constitution dénote une tendance à la désintégration d'une société. Soit
une majorité est victime des abus perpétrés par un groupe en positions
privilégiées, soit l'attitude collective est anarchique et autodestructrice.
Dans ces cas, les citoyens ne peuvent pas réaliser leur potentiel humain dans
la paix. Ceux, qui agissent arbitrairement au détriment d'un groupe, mais en
faveur des leurs, encourent toujours le risque de se trouver en position inverse
un jour. La peur chez l'un et la méfiance chez l'autre s'y installent pour
engendrer des vicissitudes sociales ou politiques. Eventuellement, cet
atmosphère tendu conduira vers des conflits violents pouvant obstruer tout
progrès social.
En dépit de
leur conduite égoïste, aucun membre d'une société aurait souhaité vivre ces
conséquences fâcheuses. Pour les éviter, il faut traiter leurs causes, et seule
la raison en est capable. Ceux conscients des effets néfastes de l'incertitude
politique s'engagent dans une réflexion collective afin de s'accorder sur des
normes politiques acceptables et de produire un travail de raison dont le mode
de fonctionnement doit être juste. Cela nécessite la coopération de tous sur
les principes généraux indifféremment des avantages ou désavantages qu'ils
comportent pour l'un ou l'autre. Dans cette perspective, l'ossature de la
constitution politique érigée sur une base générale doit nécessairement et
équitablement embrasser les intérêts de tous et non strictement ceux des particuliers.
Ici, il faut souligner : les caractéristiques d’une bonne constitution,
identifier ses deux axes, montrer la nécessité d’une bonne coordination de
l’exploitation des ressources disponibles.
II : Les
caractéristiques d'une bonne constitution
Si un dysfonctionnement
social révèle le besoin d'une restructuration sociale ou politique pour donner
lieu à une constitution, il est espéré que celle-ci soit bonne. Elle doit
pouvoir remédier aux problèmes et empêcher à l'émergence des autres de même ou
différente nature. Ayant comme noyau la cause collective, elle doit être un
cadre de référence facilitant le fonctionnement des différentes entités de la
société. Toutes les futures lois doivent tourner autour de la
constitution ; sinon, elles risquent de fragiliser sa charpente. Donc, tout doit être entrepris dans un esprit
constitutionnel. Loin d'être un ensemble de lois régulières pour les activités
quotidiennes, elle est la tablette suprême des lois qui régit ces dernières, et
détermine leur justesse et fonctionnalité dans la société, d'où son caractère
général précédemment relaté.
Une société devient
politique quand des mesures sont prises pour administrer les conflits
d'intérêts afin d'éviter sa désintégration. Si un individu ne peut pas empêcher
à un autre d'entreprendre des actions préjudiciables au reste de la communauté,
des principes doivent être établis pour réglementer leurs activités souvent
communes pour permettre une coexistence paisible. Les sphères d'activités,
l'économie et le politique, où évoluent les membres de la société avec des
intérêts différents doivent constituer le noyau de la constitution.
Concernée essentiellement par ces deux
branches elle met au point le mode de fonctionnement du système économique et
du politique.
III : Les
dessous des deux axes : l’économie et le politique
Originellement,
l'économie n'est rien d'autre qu'une activité humaine exigeant le partage des
ressources naturelles pour la satisfaction des besoins de l’Homme. Leur
insuffisance par rapport au nombre d'individus à la recherche d'une
satisfaction individuelle est la cause principale des conflits menaçant la
survie humaine. Si à ce niveau il n'y avait pas de conflits, aucune société
n'aurait eu besoin du politique pour l'administrer. En d'autres termes,
l'économie est le germe du politique qui fait usage de la constitution comme
outil administratif de conflits. Il revient à garantir à chaque individu son
droit de partage ou droit de propriété et d'entreprendre des activités de
production ou commerciales menant à sa satisfaction sans provoquer des
externalités négatives affectant un autre ou le reste de la communauté.
Avec des activités
différentes venant de chaque membre de la collectivité, il faut une
administration efficace et relativement uniforme de nombreuses activités
individuelles pour une finalité commune. Pour cette tâche et par la
constitution, des instances appropriées doivent être conçues et dotées de
l'autorité nécessaire. La modalité de cette entreprise se range côte à côte de
celle envisagée pour l'économie. Elle est tout autant importante parce que le
respect de la constitution et le bien-être collectif en dépendent. Comment
choisir les représentants et les catégoriser dans l'exercice de leur
responsabilité administrative est crucial. Il signale leur capacité d'abus du
pouvoir ou leur impotence face à l'impulsion de satisfaire leurs intérêts
personnels au détriment de la cause collective.
IV : Pour
une bonne coordination de l’exploitation des ressources disponibles
Les axes d'une
constitution étant identifiés, formuler leurs particularités pour garantir sa
stabilité et légitimité est un processus délicat quand les vues divergentes
sont considérées. Comment satisfaire par des principes généraux les intérêts
individuels quand l'intérêt collectif est ciblé ? Ne garantissant pas à tous
une jouissance égale, une bonne constitution offre plutôt l'équité et la chance
à chacun de se réaliser. Donc, il revient à chaque individu de se situer sur
une fondation d'interdépendance collective permettant nécessairement un certain
degré de satisfaction individuelle, différent qu'il puisse être l'un de
l'autre. Une société bien constituée doit pouvoir nourrir cet esprit pour
garantir une marche collective paisible en dépit de fréquentes irruptions de
conflits arborant une allure destructrice.
a) La garantie du droit travail
Une bonne constitution
doit garantir à chaque individu la jouissance du droit du travail pour lui
faciliter l’exercice des activités productives dirigées vers la réalisation de
son potentiel humain dans la paix. Etant le souci premier de tout homme, les
moyens de se nourrir doivent être garantis. Donc, le travail comme sa propriété
et son moyen principal de survie doit être facilité et protégé. Vu que le
travail est fonction de l’exploitation des ressources disponibles, une
coordination efficace et efficiente est exigée. N’étant que la transformation
des ressources ou la production, cette activité répond à la satisfaction des
besoins de chacun, ce qui lui vaut une position primordiale dans la confection
d’une constitution. Des principes généraux doivent déterminer la structure du
partage des ressources parmi les constituants, et le droit et la position de
chacun dans le processus d’exploitation. En conséquence, le droit du travail de
chacun pour l’exploitation des ressources est incontournable.
b) La division de l’espace partagé
Si l’ultime but de la
formation d’une société est de promouvoir une coexistence pacifique parmi les
individus, il importe de délimiter le champ d’actions de chacun. Ceci permettra
d’éviter tout empiètement volontaire ou involontaire traduit en abus et qui
résulte en conflits menaçant l’existence de la société. Suivant la division de
l’espace partagé, le rôle ou la fonction des occupants s’établit strictement
sur la gestion de ce partage pour prévenir ou apaiser les discordes. Elle
relève des autorités politiques et administratives qui représentent différents
groupes. Leur choix dépend de la vision commune et du degré de fiabilité des
constituants vis-à-vis d’eux en regard au principe du droit du travail
individuel pour l’exploitation des ressources. Comme élément deuxième d’une
bonne constitution, la nature de cette gestion dépend de la quantité de
ressources disponibles par rapport au nombre d’individus composant la société.
Une bonne constitution doit montrer la répartition de l’espace, la forme que
doit prendre sa gestion et comment l’appareil politique et administratif doit
être peuplé.
c) Dans l'esprit d'une bonne constitution
Partant de ces deux axes, toute bonne
constitution prend l’allure générale favorisant son application dans le présent
et le futur sans aliéner un groupe au profit d’un autre. Ainsi, elle répond aux
préoccupations premières des individus vivant ensemble dans une communauté en
garantissant, dans la paix et la sécurité, la jouissance du droit de réaliser
le potentiel humain à travers une machine politique équitable. Les portes sont
ouvertes aux modifications et améliorations selon comment évolue la société
sans l’effondrement de la constitution même. Une bonne constitution établit la
structure d’une société, définit le partage du pouvoir, le rôle des
institutions politiques assumant le pouvoir et celui des individus en qui il
est investi. Elle assure la garantie du bien-être collectif et individuel, et
protège le droit de chacun contre tout abus d’autorité. Etant l’ossature d’une
association politique entre différents individus elle est la référence ultime
donnant lieu à la bonne interprétation de toutes lois subséquentes. Somme
toute, elle prescrit les principes de base permettant le bon fonctionnement de
la société.
V : De la nature mauvaise des constitutions d'Ayiti
Depuis sa naissance,
Ayiti a connu de nombreuses constitutions sans espérer que les mauvaises
conditions de vie des constituants vont changer. Elles s’empirent davantage. A
la naissance de chacune d’elle, l’idée centrale est une société équitable, mais
selon la perception d’un individu ou d’un groupe et non selon du besoin
collectif et du droit du travail de chacun pour l’exploitation des ressources disponibles.
Loin de donner lieu aux principes pouvant les gérer, elles se font plutôt
l’objet d’une lutte de pouvoir au détriment de la cause collective pour une
jouissance individuelle égoïste et irrationnelle des bénéfices du pouvoir. Le
collectif étant négligé, le remaniement de la constitution devient nécessaire à
chaque passation ou usurpation du pouvoir. Le besoin de conserver les
privilèges attelés à la prise du pouvoir requiert des provisions favorables aux
teneurs, mais qui neutralisent ou excluent tout aspirant au pouvoir ou tout
membre du pouvoir précédent. De cette nature, aucune constitution ayitienne
fait montre des qualités d’une bonne constitution, ce qui rend chronique le
problème politique et la misère économique du pays. La constitution de 1987 à
l’instar des précédentes expose sa mauvaise nature par son manque de
légitimité, sa fausseté et son caractère venimeux.
VI : De la mauvaise nature de la constitution de 1987
La dernière en date, la
constitution de 1987, est l’objet de multiples violations non seulement dans
son application, mais aussi dans sa conception même. Alors que le grand espoir
était qu’elle allait corriger les injustices perpétrées par une dictature d’une
trentaine d’années presque, pour rendre équitable la société ayitienne. Nonobstant,
elle se met à exclure en privant certains de son droit de participation dans la
gestion des activités collectives. L’obsession de radier un groupe de la scène
politique donne naissance à une rigidité politique qui rend difficile la
gestion politique d’où l'impasse d’aujourd'hui. Ce problème est sûr de demeurer
sans une modification de la constitution. Contrairement aux croyances de
beaucoup, le groupe lavalasse accusé de jouir excessivement du plein pouvoir
n'est pas la source du problème actuel. Ainsi conçue, la constitution en est
coupable et la cause principale. En effet, l’état actuel des choses serait
pareil indifféremment du groupe en position de force. Sa nature rigide et
débile fait d’elle une tautologie en perpétuant l’injustice et le désordre qui
de prime à bord ont donné lieu à son existence. Somme toute, elle n’offre
aucune stabilité politique.
VII : De son manque de légitimité
Considérant les refontes
multiples des principes guidant l’association politique ayitienne les réformes
politiques entamées au départ de la dictature devraient être débattues
publiquement. La constitution ayitienne comme produit tangible de changement de
pouvoir dans un moment chaotique perd toute sa légitimité sans un vrai débat
public où les constituants devraient être
au courant de la forme que la restructuration allait donner au pays. Ils
sauraient que leurs préoccupations premières n’étaient pas adressées. En fait
le contenu de la constitution était présenté en référendum à la population
comme une alternative au régime dictatorial de Duvalier. L'état d'âme du pays
de l'époque était le changement et a été bien exploité par les concepteurs de
la constitution de 1987 qui n'étaient pas représentatifs réels de la
population, mais des défenseurs propres de leurs intérêts.
VIII : De sa fausseté
Dire que la constitution
de 1987, un accord régissant la coexistence d’un peuple, a été approuvée à
l’unanimité est une aberration. La diversité d’intérêts existante au sein d’une
collectivité est l’obstacle absolu à une telle réalisation, bien qu’idéale. Si
pour valider des principes gouvernant la tenue harmonieuse d’un peuple la
condition première était l’accord unanime, la constitution n’aurait jamais pris
naissance. Cependant, la nature collective d'une entente exige l'approbation
d’une forte majorité des constituants pour garantir sa légitimité et le respect
continuel de ses principes. Donc, l’unanimité issue du referendum reflète la
fausseté de la constitution de 1987.
Rien n’avance qu’elle
n’était pas revêtue de son caractère unanime comme attribué, pourtant tout
indique que les causes collectives ou les raisons de l’association politique
n’ont jamais été prises en compte. En effet, l’essence des deux axes d’une
bonne constitution est techniquement absente. La réalité dénote que la fièvre
anti-duvaliériste en était le point focal et a poussé dans l’ombre la cause
collective. Présentée à la collectivité sous cette bannière, l’unanimité est
très probable. Lors, tout ce qui symbolisait le renversement ou l’éjection de
la dictature duvaliériste aurait trouvé l’approbation unanime. Cependant, il
faut admettre qu’il est plus aisé d'obtenir l'accord de tout le monde sur la
nécessité d’un changement de régime, ou sur les règles à mettre au point pour
concevoir la constitution, mais non sur les principes de fonctionnement pour
faire régner l’équité et la justice dans la collectivité.
IX : De son caractère venimeux
Excluant dès le départ
une partie de la population dans l'esprit de vengeance et n'ayant pas rendu
public le contenu de la constitution l'a rendue mauvaise. Dans le cas
contraire, la nouvelle constitution n'aurait pas été votée à l'unanimité.
Toutefois, si avant d'être présentées au public les nouvelles propositions
étaient débattues publiquement, les groupes opposés aux nouvelles provisions
auraient préféré une révision dont le résultat serait favorable à tous. En
gardant l'esprit de l'article 191 qui exclut les duvaliéristes des affaires
publiques du pays pendant une période de 10 ans, une juste révision aurait pu
être celle-ci : tous gouvernements précédents doivent être examinés après leurs
mandats par un conseil d'éthique indépendant prévu pour cette fonction. Seront
appelés en justice tout accusé de corruption sous peine d'emprisonnement,
d'indemnité ou d'être radiés indéfiniment des affaires publiques du pays.
Cependant, le pardon peut-être accordé et le droit de participation aux
affaires du pays peut être regagné si les coupables sont graciés par un
gouvernement en fonction.
Avec une telle
proposition la balance ne pencherait pas contre un groupe spécifique, car tout
groupe se sentirait affecté dans le futur sans savoir trop comment tout en
ayant une chance de se racheter. L'ignorance du comportement futur des autres
donnerait à chacun une opportunité égale de s'identifier aux situations des
autres. Etant citoyen du pays, chacun a un droit de participation dans ses
affaires. Ses droits peuvent être retirés indéfiniment et être rétablis aussi.
Avec une position objective et impartiale, ceux qui sont immédiatement affectés
consentiraient de se faire à la provision révisée sans penser qu'ils soient
uniquement ciblés. Il y aurait beaucoup plus de chance de voir les principes de
la constitution observés par une forte majorité et il serait plus facile de la
faire respecter.
X : L'esprit d'une bonne constitution
Si la nature
d'une constitution est la gestion du bien commun par des lois, faire d'une
constitution un atout individuel la rend invalide. Donc, l’affaire collective
est absolue et en est le pivot. Pour être bonne, elle doit se reposer non sur des
règles spécifiques mais générales sur comment doivent fonctionner les
institutions économiques et politiques. Dans cette perspective, elle offre une
flexibilité capable d’assurer sa longévité sans risque. L’équité et la justice
reflétées dans son application permettront certaines imperfections dans
l’optique d’être corrigées quand les circonstances l’obligent. Etant les
générateurs des interactions sociales, l’économie et le politique doivent
constituer le tronc d’une bonne constitution d’où découleront les principes
assurant la bonne marche de la société.
Jean Poincy
2000
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