(Texte abrégé)
Le déroulement des élections de 2010-2011 en Ayiti est inédit. Le conseil électoral décrié dès sa naissance est accusé de toute sorte de choses et désapprouvé par certains de ses propres membres. Les résultats du premier tour annonçant les deux finalistes pour le deuxième tour ont produit un tollé forçant les autorités à permuter l’un d’eux. Cette décision insolite a pu calmer la colère de certains électeurs lésés qui ont pu perturber les activités des uns et des autres pendant quelques jours. Face à face, sont un candidat issu du monde musical accusé d’immoralité, d’indécence ou de manque de pudeur, et une autre très adulée comme la crème de la crème du monde académique…Le marché électoral Ayitien comme lieu de transactions politiques révèle ses imperfections et affiche son échec dans le processus de composer un nouveau gouvernement. Les transactions politiques n’ont pas réellement mesuré la quête de bien-être individuel à l’aune du bien-être collectif.
Tenter d’expliquer un tel échec invite à assimiler le marché électoral à l’économie de marché classique pour deux raisons. D’une part, ils ont des caractéristiques similaires en termes d’interactions entre les acteurs qui s’engagent autour d’un programme politique comme produit à échanger avec des coûts de transaction non contrôlés. D’autre part, l’économie de marché classique a aussi rendu illusoire l’espoir d’un bien-être généralisé.
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Pendant plus d’un siècle avec les classiques et les néoclassiques, les principes qui guidaient les économies stipulent que le fonctionnement du marché doit être libre avec une intervention minimale de l’Etat comme régulateur. Il suffit d’une concurrence parfaite pour permettre au marché de s’autoréguler. L’assomption faite est que les agents économiques étant égoïstes et rationnels n’agiront d’aucune manière préjudiciable à leur endroit. En d’autres termes, ils tenteront toujours de maximiser leurs avantages via un système de prix qui ramène toujours le marché à l’équilibre. L’espoir que faisait naître la révolution industrielle à travers un tel système est soldé de déception parce que les bénéfices souhaités pour tous ne se sont jamais matérialisés.
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(Ce) texte pointe du doigt le rôle des firmes politiques (partis politiques) dans l’évolution politique du pays depuis son divorce d’avec la dictature. Naturellement, toute firme politique est une institution qui porte une vision de mieux être pour une collectivité qu’elle véhicule à travers l’électorat via ses membres et candidats. Sa finalité est de persuader la majorité à y croire au point de lui confier l’appareil gouvernemental pour la concrétiser. Non seulement qu’il est impératif d’éduquer les membres et candidats pour bien s’imprégner ou s’approprier d’une telle vision, mais aussi d’en informer continuellement l’électorat.
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Le marché électoral ne peut être un lieu où la décision de voter se fait au hasard ou selon le jeu d’émotions des électeurs le jour du scrutin. Comme institution, une firme politique a la responsabilité d’accompagner l’électorat dans la rationalisation de son choix électoral. Etant aussi un système de gestion politique de l’électorat, les firmes facilitent la coexistence démocratique des tendances politiques et complètent la mission du marché électoral dans le processus conduisant à l’élection d’un candidat. Ne pas répondre à cette fonction naturelle et légitime laisse les transactions politiques évoluer au gré des émotions sur le marché électoral au risque de pervertir la quête de bien-être collectif.
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…Depuis plus d’une génération après l’institutionnalisation de la démocratie, l’ancrage institutionnel des firmes politiques n’a jamais eu lieu. Elles ne sont jamais arrivées à élargir leur base dans l’électorat, ni fidéliser les membres autour d’une même philosophie, idéologie ou mission. Certes ! Elles existent, mais ne possèdent pas concrètement une part de l’électorat capable d’assurer leurs gains aux élections. Autant que l’appartenance institutionnelle aux firmes politiques n’existe pas, la constance politique est en dérive. Le candidat est disponible aux plus offrants. Tout cela se résume par une horde de firmes politiques émiettant l’électorat…
…Ne répondant pas aux fonctions naturelles et légitimes décrites plus haut, les firmes politiques ayitiennes ne se sont pas édifiées comme institutions politiques pouvant guider ou contrôler le comportement de l’électorat, modeler son jugement au point de faire dissiper les incertitudes qui le hantent...
…Telle est l’interprétation rationnelle qu’il conviendrait de donner à l’accusation du président élu lors des campagnes électorales de faire partie du système politique qui n’a pas livré la marchandise. Ce serait erroné d’assimiler l’appartenance au système à une participation à un quelconque gouvernement post-dictatorial. Le fait est que la génération des firmes politiques succédant à la dictature et annonçant une nouvelle forme politique pour améliorer les conditions de vie de la collectivité ne s’est pas montrée à la hauteur de leurs missions institutionnelles…
…Associé à la capacité de bien jauger l’offre d’un candidat, et avec son pouvoir d’achat, donc son vote, l’électorat a tous les atouts possibles pour exiger et obtenir d’un candidat ce qu’il veut. Dans le cas des promesses non tenues, il conserve son pouvoir d’achat et peut ne pas renouveler sa commande auprès d’un élu en le sanctionnant au profit d’un autre. Etant donné que voter en faveur d’un candidat donne lieu à un contrat d’une durée déterminée, il n’est point nécessaire de brusquer le mandat d’un candidat pour le terminer avant terme en cas d’insatisfaction, mais d’attendre les prochaines élections pour le destituer. Comprendre cet aspect porterait l’électorat à attendre le terme du mandat d’un élu qu’il a choisi librement…
…Malheureusement, un tel pouvoir n’a jamais été utilisé à bon escient. L’électorat choisit toujours avec son cœur et non avec sa raison. C’est pourquoi, qu’il renouvelle souvent ses vœux auprès du même candidat qui n’a pas su honorer ses attentes…Face à la faillite des firmes politiques, l’électorat toujours non-avisé et livré à lui seul se laisse emporter par tout courant qui se dit soucieux de sa primitivité, un état d’entendement qui rend complexe tout calcul devant intégrer les paramètres du passé, du futur et de l’autre…Par faute de guide, l’électorat est tourmenté par ses émotions sur le marché électoral, ne se fie qu’à ses instincts et se trouve à la merci des manipulations du processus électoral pour détourner son choix. Ces cas témoignent d’une issue incertaine ou injuste caractérisant l’échec du marché électoral comme résultante de la faillite des firmes politiques. Les transactions politiques sont donc corrompues au détriment de l’électorat qui croit bien faire.
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En effet, si pour l’économie de marché les firmes étaient perçues comme une boîte noire de production, pour le marché électoral Ayitien, elles n’existent que pour la prise du pouvoir par tous les moyens sans répondre à leurs fonctions naturelles de contribuer à la réalisation du processus démocratique et du bien-être collectif en dehors du pouvoir.
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L’essentiel du processus démocratique en terme de comportement des candidats et de l’électorat est la responsabilité des firmes politiques. Comme institutions politiques, celles-ci sont appelées à guider le comportement des acteurs rendant effective la finalisation des transactions sur le marché électoral. L’ignorer c’est laisser la charge au marché électoral qui n’est qu’un cadre d’exécution des procédures de composition d’un nouveau gouvernement par la voie démocratique…
Acceptant le marché électoral avec toutes ses tares naturelles qu’aucune loi ne peut corriger, il doit aussi subir de rigoureuses évaluations pour mieux identifier les niveaux d’intervention. Tout aussi bien, il faut cibler les firmes politiques pour porter les ajustements nécessaires, mieux accompagner le marché électoral, et réussir le processus démocratique sans casse… (Lire le texte intégral)
Jean POINCY
caineve@yahoo.fr
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