"La misère haïtienne est une boue très gluante et nous en sommes les crabes"
C’est cet axiome qui est venu à mon esprit après avoir écouté pantois la description faite par Farah Franck, une étudiante en médecine, de la situation problématique que de jeunes professionnels haïtiens connaissent à l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti.
Décidemment, nous sommes dans l’impasse véritable ! La pénurie causée par une praxis politique de coupe moyenâgeuse dans l’Haïti pseudo moderne en est l’intrant principal.
Le dicton populaire haïtien veut que l’on puisse mettre des crabes dans un panier, s’en aller pour longtemps et les retrouver tous à la même place. Car, les crabes d’en bas et d’en haut s’entremêlent tellement bien dans leur mésentente et leur dynamique d’efforts opposés qu’aucun d’eux ne peut s’affranchir du « récipient ».
Si vous êtes vraiment des universitaires, injonction vous est faite d’être les premiers à sortir du bourbier. Groupez-vous ! Réfléchissez sur les causes profondes de votre misère et de la situation exsangue dans laquelle pataugent l’Université d’Etat d’Haïti et les Universités privées du pays.
Comment après plus de deux cents ans depuis la proclamation de l’indépendance nationale (nous avons bien dit : proclamation de l’indépendance) et le séisme mortifère du 12 janvier 2010, des universitaires haïtiens peuvent-ils s’investir dans des pugilats pour les prunes d’une misère déjà suffocante et globale ?
Sans le savoir, peut-être, l’étudiante répondant aux questions de Valery Numa de vision 2000 sur les récentes rixes orchestrées pour empêcher qu’un groupe d’étudiants d’Universités « privées » fassent leur stage à l’hôpital de l’UEH a mis en relief l’immensité de nos déboires, la cohérence de nos inconséquences et la faillite générale de l’enseignement en Haïti.
La division est la note constante de la vie politique chez nous ! Si la politique construit les autres nations et peuples, chez nous elle est suicidaire et anthropophage. Si nous ne prenons garde, elle risque de prendre comme toute construction idéologique incrustée dans la culture profonde d’un peuple et dans son caractère des rails indépendants. Aucun remède à son institutionnalisation ne peut être trouvé ! Alors la géhenne prend corps et fonction ! A ce compte, nous ne sortirons pas de l’impasse. La misère risque, après l’entame de notre indépendance, l’occupation de notre pays, la tutelle internationale, de nous conduire au suicide collectif et à l’hécatombe.
D’où vient, donc, cette cohérence mortifère dans la division, la soumission et l’égoïsme ? Ces questions sont d’importance.
Il y a moins d’un mois, nous étions à Santo Domingo pour participer à « Virtual Educa » sur invitation du Président Leonel Fernandez via L’AHNU (Actions Haïtiennes pour les Nations Unies), 70 professeurs haïtiens ont découvert l’aura de grandeur choisie par les dominicains pour leurs Universités, le cadre enchanteur de l’Université Autonome de Santo Domingo (UASD), ses bâtiments à la fois moderne et de toute beauté, le sens d’organisation des universitaires dominicains et…l’entente. La XI rencontre « Virtual Educa » a eu lieu en RD et s’est soldée par un succès sans appel. Il s’agissait d’introduire 2000 invités nationaux et 400 invités internationaux et le pays entier aux merveilles de l’utilisation des TIC (Technologies d’Information et de Communication) pour la formation à distance à tous les niveaux. Les Universités dominicaines (privées et publiques) se sont données la main pour démontrer au monde et au peuple dominicain les merveilles d’une démocratie forte, la dominicaine. La RD a convié 240 intervenants conférenciers pour l’événement en provenance de 22 pays.
La seule note discordante de la semaine vécue en RD par les professeurs haïtiens en session a été la prestation en marge du forum principal, la même semaine, trois universitaires Haïtiens dont deux vice-recteurs d’universités à l’auditorium de la FUNGLODE (1) et à l’initiative de L’OEA (2). Tout s’est passé le mardi 22 en présence du Président Leonel Fernandez, du Ministre de l’Enseignement Supérieur dominicain Dona Ligia Amado Melo, d’un noyau de leaders de l’OEA, de fonctionnaires de l’Etat dominicains et de visiteurs Haïtiens.
Primo, ils ont accepté de faire leur exposé en anglais (sic) pour satisfaire une injonction des membres de l’OEA présents dans la salle qui prétextaient la non disponibilité de traducteurs. Segundo, les deux vice-recteurs ont présenté deux sigles différents pour parler de la seule Université d’Etat Haïti. Tercio, ils sont arrivés le même jour et ont dormi dans le même hôtel. Quarto, ils ont présenté trois conférences distinctes et des points de vue en discorde pour un même thème : Place des universités haïtiennes dans la Reconstruction d’Haïti. La division est chez nous et entre nous très profonde et multicolore ! Elle est culturelle ! Et, c’est très grave !
Les pratiques d’égoïsme sont ostensibles dans la praxéologie des universités nationales privées et publiques d’Haïti et dans les relations entre elles. Pourtant, c’est à l’Université que se joue le jeu du développement des pays. Nous vivotons dans la médiocrité et dans la crasse ! Nous continuons, à la faveur de sentiments mesquins qui nous rendent aveugles, de construire la misère par nos comportements égoïstes, notre manque de sens d’analyse et de vision. Si nous continuons de creuser dans l’abîme nous parviendrons au « magma ». Est-ce bien ce que nous voulons ?
Après le séisme du 12 janvier qui nous a réunis dans un même décor de malheurs et de déboires, l’on devrait s’attendre à ce que les décideurs au plus haut niveau de l’Etat Haïtien convoquent toutes les ressources subjectives et intellectuelles du pays sous le drapeau. Il n’en n’a pas été ainsi. C’est le professeur Legrand Bijoux qui a encore raison ; « Si dans les moments de cataclysme et de grande crise nous voyons toutes les têtes se contrer, dans les temps normaux l’haïtien peut être voisin mais jamais partenaire ». Les millions d’Haïtiens se sont trop vite adaptés à vivre dans la chaleur et l’ornière des camps de fortune !
En conséquence, les initiatives éparses concoctées un peu partout dans le monde pour refaire le pays dans l’absence totale d’un vrai leadership national haïtien maintiennent la Reconstruction dans l’impasse et le néant. Plus de six mois après le tremblement de terre, son cortège de près de 300.000 morts, de plus de 500.000 déplacés, et de sa flotte d’appauvris contraints de vivoter sous des tentes, des draps ou des morceaux de toiles dans les fatras et la maladie.
L’histoire de ce pays a été mal enseignée aux diverses générations d’haïtiens. Nous gageons que les Haïtiens s’aimeraient beaucoup plus entre eux et eux-mêmes, s’ils connaissaient leur vraie histoire, leur vrai passé et les motifs profonds de leur retard dans le monde.
Le séisme du 12 janvier serait moins meurtrier si l’histoire racontée sur Haïti était l’histoire véritable et non celle écoutée aux portes de la légende. L’épopée n’entraîne jamais la motivation profonde des peuples ! L’union et l’entente pour le développement ne sauraient provenir du clinquant. L’histoire d’Haïti ne nous a guère enseigné les valeurs et variables qui ont fait de nous la première nation noire indépendante du monde et l’une des nations les plus « craintes » ou surveillées jusqu’à ce jour par les superpuissances du globe terre.
Universitaires haïtiens,
Reprenez le cap ! Vous êtes dans l’erreur ! Unissez pour vaincre la misère !
Au fort de la crise à la Faculté de Médecine de l’UEH, nous avons publié un article titré « Mea culpa » dans « Le Nouvelliste » et dans le quotidien « Le Matin ». Après avoir constaté la culpabilité partagée de tous les acteurs, nous avons déclaré que la « crise à l’Université est fille tant des stratégies mondiales d’encadrement de l’Education qui accordent le primat à la petite enfance et à l’école fondamentale que du « je m’enfoutisme » des autorités éducatives et politiques haïtiennes. »
Aujourd’hui, nous sommes contraints de constater la faillite de toutes les stratégies d’éducation. De la famille à l’université tout est à refaire ! Le venin de la discorde empoisonne les relations entre jeunes et cloisonnent les générations !
Et, la course de relais qui devrait aboutir au développement s’englue dans l’incapacité des générations montantes à recevoir un maillet ferme et propre des générations vieillissantes. A la faveur d’une misère nauséabonde, les aînés transmettent le venin de la division aux cadets. Et, la misère accède à la chronicité la plus noire et la plus abjecte ! Universitaires Haïtiens, serrez-vous les coudes pour contrer l’adversité et la pénurie !
Par Amary Joseph NOEL,
-Coordonnateur Général de la Confédérations des Haitiens des Pour la Réconciliation(CHAR),
-Membre du Noyau Stratégique de la Cellule de Réflexion et d’Action des Jésuites et de la Société Civile (CRAN)
-Encadreur du Réseau des Actions Citoyennes de Varreux, (Croix-des-Bouquets)
Le 9 juillet 2010
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